Son nouveau disque, Heroes from the Shadows, où elle chante et dirige à la fois, vient de sortir chez Erato. Se partageant désormais entre ses activités de cantatrice et de chef, la contralto française sera, à partir du 12 décembre, au pupitre de son ensemble Orfeo 55 pour Le Messie de Haendel, à Metz, Paris et Toulouse. L’occasion de faire le point sur bientôt trente années d’une carrière aussi trépidante qu’atypique, en levant le voile sur de passionnants projets.
Heroes from the Shadows, votre nouvel enregistrement qui vient de paraître chez Erato, est consacré à Haendel, un musicien qui vous est cher…
C’est un compositeur phare pour moi, il a écrit de si belles choses pour la voix de contralto ! Sa musique, y compris dans sa manière de traiter l’orchestre, est d’une richesse et d’une diversité qu’on ne perçoit pas toujours, car ses livrets sont très souvent construits sur des modèles identiques. J’ai chanté beaucoup de Haendel à la scène : le premier a été le rôle-titre d’Amadigi, aux côtés de Bernarda Fink en Dardano ; je me suis aperçue qu’elle avait un air admirable, que j’aimais encore plus que les miens, et j’ai commencé à creuser cette question et à me pencher sur les personnages autres que principaux. J’ai adoré incarner Giulio Cesare, mais les airs de Cornelia ou de Sesto sont aussi beaux que les siens… De même, si Radamisto est merveilleusement servi, Zenobia hérite aussi d’un air superbe.
Votre réflexion a-t-elle trouvé son aboutissement avec ce disque ?
Effectivement. Tout a commencé à ce moment-là et, comme j’ai de la suite dans les idées, j’ai poursuivi mes recherches pendant des années, jusqu’à ce que je puisse enfin établir un programme de pages moins connues, mais superbes. Petit à petit, je me suis ainsi engagée sur un chemin qui m’a convaincue que les rôles secondaires étaient, eux aussi, magnifiquement dotés par le génie de Haendel.
Auriez-vous aimé incarner davantage ces rôles au théâtre ?
J’en ai toujours eu envie. Mais aujourd’hui, beaucoup de héros haendéliens sont donnés à des contre-ténors, entre autres parce que certains metteurs en scène veulent que les personnages masculins soient tenus par des hommes. Je ne peux pas lutter contre, même si je déplore le côté systématique de ce choix. Car je sais que je puis être très crédible dans ce genre d’emploi… sauf si l’on souhaite me mettre en caleçon ! Cela dit, il est indéniable que la vague baroque, dont on ne peut contester ni l’importance ni la durée, et la mode actuelle des contre-ténors ont énormément fait pour cette musique sublime.
Comment Haendel se démarque-t-il de ses contemporains ?
Il se distingue, entre autres, par une richesse harmonique et orchestrale supérieure. Vivaldi, par exemple, que j’adore aussi, est un vrai génie mélodique, mais son orchestre est moins élaboré. Hasse est intéressant, mais ne m’accroche pas comme le fait Haendel. Je le répète, la variété de son écriture est étonnante. On trouve chez lui une puissance n’ayant rien à envier à celle de Bach, et son sens de la théâtralité est passionnant.
Une puissance allant de pair avec l’originalité…
Évidemment ! Dans l’air d’Irene « Par che mi nasca in seno » extrait de Tamerlano, par exemple, Haendel utilise deux clarinettes, ce qui n’est pas fréquent pour l’époque et donne à cette aria des couleurs mozartiennes. On peut admirer également son utilisation du rythme, du chromatisme et du contrepoint, très personnelle.