Après l’éblouissement d’Orlando paladino de Haydn, en 2012, dans ce même théâtre, l’artiste signe la scénographie, les costumes et la conception visuelle d’un opéra de jeunesse peu connu de Mozart, à partir du 22 janvier.
Qu’est-ce qui vous a incité à accepter la proposition du Châtelet de transposer votre univers visuel à la scène ?
J’ai été intéressé par l’étendue des nouvelles possibilités qui s’offraient à moi. De nombreux artistes ont travaillé pour la scène, et cette collaboration s’inscrit dans une continuité. Jean Bérain, une de mes références dans l’époque baroque française, était lui aussi pluridisciplinaire. Créés à sept années d’intervalle, Il re pastore (1775) et Orlando paladino (1782) se basent sur des thèmes universels, qui traversent les époques : les intrigues amoureuses, les luttes de pouvoir ne sont pas spécifiques au XVIIIe siècle. Les deux ouvrages racontent d’ailleurs des histoires bien plus anciennes. Le premier met en scène Alexandre le Grand, et le second prend sa source dans l’univers de l’Arioste, qui lui-même évoluait dans un Moyen Âge fantasmé. C’est le système des poupées russes. J’aime jouer avec l’histoire, tout en y ajoutant mes références : la saga Star Wars, par exemple, qui compte beaucoup pour moi depuis mon enfance. D’autant que George Lucas a travaillé sur les écrits de Joseph Campbell, qui a étudié les mythes des civilisations du monde entier, et révélé les schémas communs aux différentes cultures. Les passerelles sont évidentes, mais il faut aussi avoir envie, par contraste, de faire se télescoper des éléments semblant n’avoir, à la base, aucun rapport les uns avec les autres.
Comment faire, avec un imaginaire créatif aussi singulier que le vôtre, pour ne pas vous répéter d’une production à l’autre ?
C’est une problématique à laquelle j’ai été confronté, et Jean-Luc Choplin, le directeur général du Châtelet, m’a aidé à me concentrer sur des aspects nouveaux. Cette fois, nous sommes partis dans une espèce de « space opera ». Certes, les références à la science-fiction étaient déjà présentes dans Orlando paladino, mais de façon moins tranchée. La principale différence entre les deux productions tient néanmoins aux ouvrages eux-mêmes. Car, bien qu’il relève du divertissement de cour, Il re pastore appartient au genre de l’« opera seria », sans la volonté de faire rire ni, surtout, un esprit de film d’action. Le défi consiste donc à maintenir le rythme, et l’intérêt continu du spectateur.
En plus de scénographe et costumier, l’affiche d’Il re pastore vous annonce comme co-metteur en scène, avec Olivier Fredj. Comment vous répartissez-vous la tâche ?
J’arrive avec une sorte de boîte magique dont les mécanismes sont déjà fixés, notamment à travers l’utilisation de la vidéo. Et je dois avouer qu’il m’a fallu un certain temps pour la constituer. Car l’œuvre n’est pas facile à saisir, avec cette dimension contemplative face à la nature, si typique d’un XVIIIe siècle dont certains codes plus qu’implicites peuvent échapper aux spectateurs d’aujourd’hui. Ces suspensions de l’action m’évoquent Blanche-Neige qui, dans le dessin animé de Walt Disney, s’arrête soudain dans la forêt pour chanter avec un oiseau. En ce sens, Mozart se libère des conventions imposées par le caractère laudateur et édifiant du divertissement de circonstance, avec une forme de désinvolture qui me plaît beaucoup. Pour ce qui est du travail sur le plateau, avec les chanteurs et les danseurs, il sera davantage du ressort d’Olivier. Mais je pourrai intervenir sur certains points, afin de m’assurer que mon idée plastique se met en place.
Comment séduire à la fois les amateurs d’art contemporain, qui viennent voir une « installation » de Nicolas Buffe, les mélomanes attirés par Il re pastore, et le jeune public, qui riait aux éclats pendant Orlando paladino ?
Je déteste les catégorisations et récuse la notion de sous-culture. J’aime le XVIIIe siècle, la musique de Mozart, l’art décoratif européen, de la même manière que Star Wars, les dessins animés de mon enfance et les jeux vidéo. Pourquoi regarder de haut les productions de l’esprit de notre temps, sous prétexte qu’elles sont récentes – et alors même que nous savons que les grands compositeurs du passé s’inspiraient, eux aussi, des musiques populaires ? En tant qu’artiste, je me sens comme un cuisinier prenant les ingrédients les plus divers pour en tirer un mélange étonnant. Cela me fait sourire quand je vois un mélomane et un enfant apprécier la même œuvre. Cela signifie que quelque chose a marché.