Comptes rendus Sonya Yoncheva sur les traces de Callas
Comptes rendus

Sonya Yoncheva sur les traces de Callas

30/10/2018

Médée à Berlin

Staatsoper Unter den Linden, 7 octobre

Daniel Barenboim – qui d’autre ? – au pupitre, Andrea Breth, grande dame du théâtre allemand et habituée de la maison, à la mise en scène, et les débuts de Sonya Yoncheva dans le rôle-titre de Médée de Cherubini, présentée dans sa version originale française (Paris, 1797), avec dialogues parlés : l’affiche de la première nouvelle production du mandat de Matthias Schulz à la tête du Staatsoper Unter den Linden, alliait, avec une légitime ostentation, le prestige à l’audace. C’est un pétard mouillé. Principalement à cause d’une mise en scène indigente.

Une fois encore, le décor est censé tenir lieu d’argument dramaturgique. L’action est transposée dans un port franc, où sont entreposées, à l’abri du fisc, dans leurs caisses de bois clair, des œuvres d’art inestimables. La Toison d’or est l’une d’entre elles, que Jason s’apprête à céder à Créon, en échange de la main de Dircé. Médée a, dans ces conditions, plus d’une raison d’être en colère.

Mais encore ? Eh bien, rien, ou si peu. Comme si Andrea Breth s’était dérobée devant le mythe, plutôt que de l’affronter. Incapable d’en assumer la violence, que Krzysztof Warlikowski décuplait à Bruxelles, il y a dix ans, notamment par la force de dialogues réécrits dans une langue implacablement crue, elle prétend revenir aux alexandrins de François-Benoît Hoffman pour, en réalité, n’en conserver que des bribes de plus en plus éparses, au point de priver le troisième acte de cohérence dramatique.

La direction d’acteurs ? La caractérisation des personnages ? Une sorte de degré zéro, en costumes vaguement contemporains – sauf pour Néris, entièrement dissimulée sous un voile noir, et surtout Médée, madone africaine au visage tatoué de henné, bel et bien l’étrangère égarée dans un monde de trahison et d’hypocrisie, mais à laquelle ses gestes de grand oiseau de proie ne confèrent pas d’envergure tragique. Qu’importe, dès lors, que la représentation s’achève dans les flammes ! Il est trop tard pour allumer l’intérêt.

Dans la fosse, au contraire, la Staatskapelle Berlin dissipe les doutes sur la capacité de Daniel Barenboim à prendre en charge les fulgurances d’une écriture aux arêtes escarpées. Atteignant des sommets dans les pages symphoniques, l’orchestre bouillonne d’une rage beethovenienne.

Se transmet-elle pour autant au plateau ? Iain Paterson égare Créon dans un vibrato que Wagner, sans doute, atténue. Plutôt que de les résoudre, Dircé entretient les interrogations sur la nature et le potentiel vocaux d’Elsa Dreisig. Car si sa personnalité affirmée donne un relief inattendu à un air souvent réduit à sa dimension décorative, et si la lumière du timbre séduit, la technique achoppe sur les passages fleuris, où le registre supérieur atteint de criantes limites.

Mezzo caméléon, Marina Prudenskaya est un luxe pour Néris, se fondant dans les couleurs du basson de « Ah ! nos peines seront communes ». Charles Castronovo atteint en Jason une forme d’idéal, ténor sombre qui n’a cependant pas renié l’éclat, phrasant avec autant d’élégance que d’ardeur.

Mais tous, quels que soient leurs mérites – ainsi l’a voulu Cherubini –, demeurent dans l’ombre de Médée. Sonya Yoncheva y était d’autant plus attendue qu’elle y marche, une fois encore, sur les traces de Maria Callas. Plus que les accents, les inflexions, ce sont certaines intonations qui ravivent le souvenir de sa glorieuse aînée, la fragilité qui se fait jour dans une zone de passage instable, et des attaques écorchées. Mais l’aigu dardé, incandescent, cloue sur place, à l’image de l’instinct qui anime une ligne frémissante, jamais inhumaine – et grâce auquel la soprano bulgare se démarque d’emblée du maintien antique de l’inatteignable modèle.

Parce que Andrea Breth n’a pas su, pu, ou même voulu lui tracer un chemin, cette Médée se cherche encore, en équilibre précaire sur le fil de l’incarnation. Mais son cœur bat d’un authentique tempérament d’artiste, auquel un goût du risque affirmé, indifférent aux prophéties alarmistes, a d’ores et déjà ouvert la voie du firmament.

MEHDI MAHDAVI

PHOTO : © BERND UHLIG

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