Comptes rendus Rameau et Charpentier à Versailles
Comptes rendus

Rameau et Charpentier à Versailles

13/12/2018

Actéon & Pygmalion

Opéra Royal, 2 décembre

Pour son rendez-vous annuel avec l’Opéra Royal de Versailles, auquel il est idéalement accordé pour ses imaginaires et merveilleuses reconstitutions « d’époque », l’Opera Atelier de Toronto a reconduit l’équipe de la précédente Médée de Marc-Antoine Charpentier, donnée en mai 2017, avec laquelle il enchaîne logiquement (voir O. M. n° 130 p. 72 de juillet-août). Programme plus modeste, pourtant, avec Actéon (1684), opéra miniature du compositeur (cinquante minutes environ), qui demande complément.

Marshall Pynkoski avait déjà monté les deux œuvres, mais le couplage d’Actéon avec Pygmalion, le tout aussi bref « acte de ballet » de Rameau (1748), est inédit. Dans Actéon, les très beaux décors et costumes sont d’emblée un enchantement, très ingénieux aussi, avec ces deux toiles peintes permettant de faire alterner, en fondu enchaîné, le parc où le héros et ses compagnons se livrent à la chasse, et derrière lui, la vasque de rochers avec cascade, où Diane et ses nymphes procèdent à de chastes ablutions.

Ces deux peintures en manière de tapisseries s’enchâssent admirablement, par l’intermédiaire de leurs bordures et des pendrillons, avec le décor même de l’opéra, de même que leurs belles teintes chaudes et mordorées, et encore les rouges cramoisis des costumes. En un finale déchirant, inattendu pour ce qui n’est en principe qu’une « pastorale », un hommage est rendu à Actéon (métamorphosé par Diane en cerf, le chasseur a été dévoré par ses propres chiens), dont la lance et le bouclier sont déposés à l’avant-scène, derrière les bois du cervidé.

Introduit par le solo d’un violon baroque de l’orchestre, accompagné seulement d’un ange danseur aux ailes rouges, sur le plateau vide (brève partition commandée par l’Opera Atelier, qui permet à cette seconde partie d’atteindre aussi les cinquante minutes), Pygmalion souffre un peu de la comparaison. Après le superbe tableau initial, qui présente la Statue sur son piédestal, au milieu d’une grande architecture surréalisante, sur fond de ciel bleu, l’action décousue et le texte d’une rare platitude de Ballot de Sauvot n’autorisent pas les mêmes effets dramatiques.

Marshall Pynkoski réussit pourtant bellement l’animation de la Statue, qui entame une danse hésitante avec les Grâces, et la délicate chorégraphie de Jeannette Lajeunesse Zingg est toujours ravissante. Mais nous restons cette fois, scéniquement, dans les limites du divertissement – et pour conclure de façon assez peu heureuse aussi, par un grand cœur rouge de dessin animé, en toile de fond.

Le ténor Colin Ainsworth assume brillamment les deux rôles-titres, avec la même autorité que son Jason de 2017. La diction est exemplaire, la prononciation presque parfaite, même si le timbre n’est pas d’une exceptionnelle séduction, et si cette voix d’ampleur paraît à l’étroit dans la vocalisation d’extrême agilité de l’irrésistible et périlleux « Règne, Amour » de Pygmalion.

Si la charmante Mireille Asselin est un peu légère pour Diane et l’Amour, Meghan Lindsay donne, au contraire, un fort relief à son Aréthuze et à sa Statue. Enfin, le beau et si particulier timbre sombre d’Allyson McHardy est parfaitement en situation dans Hyale et Junon, puis Céphise.

L’impeccable Tafelmusik Baroque Orchestra nous ravit toujours par ses sonorités charnues et fruitées, même si la direction de David Fallis, précise et robuste pour Charpentier, nous laisse plutôt sur notre faim pour un Rameau qu’on a connu plus musclé.

Cette énergie est, en revanche, celle du superlatif chœur Marguerite Louise de Gaétan Jarry, placé au balcon côté cour, et qui rayonne admirablement dans les deux œuvres.

Malgré les légères réserves suscitées par la seconde, une production qui ne dépare pas la brillante série de cette programmation versaillaise de l’Opera Atelier.

FRANÇOIS LEHEL

PHOTO : Colin Ainsworth et Meghan Lindsay dans Pygmalion. © BRUCE ZINGER

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