Comptes rendus Indes inédites en CD
Comptes rendus

Indes inédites en CD

26/03/2019

Rameau : Les Indes galantes

Nous avons évoqué, dans ces colonnes, la création hongroise des Indes galantes, au Müpa de Budapest, en février 2018 (voir O. M. n° 139 pp. 6-7 de mai). Ce concert triomphal avait été précédé d’un enregistrement de studio, nouveau jalon d’une fructueuse collaboration entre le Centre de Musique Baroque de Versailles et le Müpa : le CMBV fournit éditions, expertise et équipe de solistes, le chef György Vashegyi apportant son chœur et son orchestre d’instruments anciens.

Au sein de la discographie relativement limitée des Indes, l’originalité de cette nouvelle gravure est de proposer, grâce aux travaux de Sylvie Bouissou, en charge de la monumentale « Opera Omnia Rameau » (Bärenreiter), la version remaniée pour une reprise de 1761, la dernière supervisée par le compositeur de son vivant. Sensiblement différente de celle de la création, elle comporte, entre autres modifications, la suppression pure et simple de l’Entrée « Les Fleurs, fête persane » et une réduction du Prologue (l’Amour n’apparaît plus).

On retrouve, dans ce disque, les principaux atouts des précédentes gravures ramistes de György Vashegyi : qualité instrumentale, séduction sonore, énergie roborative d’une direction généreuse en percussions et qui cherche constamment à avancer – au point, peut-être, de manquer d’un rien de détente pour certaines danses, voire de souplesse dans le rendu des notes inégales.

Le chœur, un peu lointain au mixage, se montre précis et fort scrupuleux sur le français – travaillé sous la houlette de Benoît Dratwicki, directeur artistique du CMBV, dont nous avouons ne pas partager certaines options de prosodie, comme ces césures ajoutées pour la compréhension –, à défaut d’être toujours très expressif. On regrettera, quand même, la couleur peu adéquate d’un pupitre de hautes-contre constitué de falsettistes.

Pour les rôles solistes, Benoît Dratwicki revendique « de vraies voix d’opéra ». Si sa distribution se démarque, en effet, d’une certaine tradition baroqueuse (dont témoigne la discographie), il est probable qu’elle aurait atteint des résultats encore meilleurs sans un planning d’enregistrement serré à l’excès, compliqué de surcroît par la maladie de plusieurs de ses membres. En l’état, elle apparaît dominée par Reinoud Van Mechelen et Véronique Gens.

Le premier, déjà Dom Carlos et Damon dans l’intégrale chambriste dirigée par Hugo Reyne (Musiques à la Chabotterie), y ajoute ici Valère (privé, dans cette version, du célèbre « Hâtez-vous de vous embarquer »). La maturation vocale et stylistique depuis 2013 est manifeste, avec une aisance, une élégance du français et un charme du timbre désormais proches de l’idéal. Tout juste pourrait-on souhaiter plus de désinvolture chez son Damon.

Fraîchement arrivée d’une série de Dialogues des Carmélites et encore hésitante à la générale, Veronique Gens a vite trouvé ses marques, conférant classe et naturel à une Phani qui, rendue à une nature vocale plus généreuse, gagne en épaisseur et en sensualité, et atteint une intensité rare dans sa confrontation avec Huascar.

Pourquoi alors, dans un souci de contraste et d’équilibre, n’avoir pas distribué un soprano plus léger en Hébé et, surtout, Zima ? Certes, Chantal Santon Jeffery fait preuve de son professionnalisme habituel, mais nous l’imaginons désormais dans des parties plus dramatiques. Ici, la voix paraît parfois un peu lourde, et l’émission pas tout à fait assez nette, pour cette écriture ornée. La virtuose ariette finale avec trompettes, « Régnez, plaisirs et jeux », manque ainsi un tantinet de brillant, avec notamment des variations au contre-ré un rien crispées – ce qui n’était pas le cas au concert.

L’Émilie de Katherine Watson est touchante et stylée, mais un peu tiède et trop uniformément dolente de couleur. La révélation capitale « Mon tyran m’aime » passe inaperçue, et l’héroïne ne semble pas exulter au dénouement heureux (« Régnez, Amour »).

Pour les deux voix graves, il eût été sans doute judicieux de disposer d’une basse et d’un baryton. Bellone est trop grave pour Thomas Dolié, bien plus à son affaire en Huascar, même si une vraie basse chantante confère au grand prêtre un éclat tout particulier. Son éloquence et son autorité n’en font pas moins merveille, malgré quelques raideurs dans l’aigu, restes d’un refroidissement qui, lors du concert, était presque entièrement passé.

À l’inverse, Jean-Sébastien Bou est bien plus en voix ici qu’au concert, et ses Osman et Adario ne manquent pas d’éclat, même si la tessiture élevée de ce dernier le confine dans un registre un peu trop uniformément héroïque.

Malgré ces quelques réserves, nous tenons assurément une gravure extrêmement satisfaisante des Indes galantes qui, surtout dans cette version inédite de 1761, trouve tout naturellement sa place aux premiers rangs de la discographie. Dommage que, pour des raisons de calendrier et d’économie, l’enregistrement n’ait pas pu profiter de l’expérience du concert, en se faisant à sa suite : l’ensemble y aurait certainement gagné en fluidité et en naturel.

THIERRY GUYENNE

2 CD Glossa GCD 924005

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