Comptes rendus Lady Macbeth marquante à la Bastille
Comptes rendus

Lady Macbeth marquante à la Bastille

10/04/2019

Opéra Bastille, 6 avril

Troisième présentation de l’œuvre (1934) à l’Opéra Bastille, depuis sa création tardive à Paris, en 1992 : un rattrapage justifié, pour lequel Krzysztof Warlikowski pouvait paraître un choix possible, pour cet expressionnisme exacerbé reposant largement sur les insatisfactions sexuelles de l’héroïne.

De fait, après qu’a été projetée la vidéo, d’abord énigmatique, de deux nageuses dans une piscine, s’expose de façon assez provocante une grande salle d’abattoir, tandis que se situent, côté cour, sur un praticable ouvrant directement sur elle, chambre et salon des époux. Le praticable, seul autre élément de décor, se déplacera pour venir en disposition parallèle ou, au contraire, perpendiculaire au plateau, et visible par son petit côté.

D’autres vidéos, soigneusement choisies et élaborées (belles réalisations de Denis Guéguin), comme l’ensemble de ce dispositif, très bien éclairé par Felice Ross, complètent. Pour le meilleur, le moins bon, et le franchement discutable.

Pour le meilleur, par exemple, ce moment très émouvant où Katerina, seule sur son lit, sous un éclairage mauve tamisé, expose son infinie douleur. Pour le moins bon, un tableau de la découverte du cadavre de Zinovyï par le Balourd miteux, qui s’appuie sur le pétulant déchaînement de l’orchestre pour transposer la scène dans un cabaret, où évoluent jongleuse et acrobate plutôt incongrus, même si, par un beau dévoilement, l’épisode se conclut par l’apparition du corps, suspendu à un croc de boucher, à côté des porcs équarris de l’abattoir.

Pour le discutable, enfin, une pornographie délibérée, qui donnerait presque raison à la qualification et à la condamnation de Staline, aboutissant, comme on le sait, à l’arrêt des représentations de 1934. Après le viol d’Aksinia, en pleine lumière, devant l’ensemble des bouchers ensanglantés, ce sont ensuite force copulations forcenées, sur le lit – et pas sous la couette –, debout, sur le sol, avec l’imagination des professionnels les plus confirmés.

Si la partition témoigne, à plusieurs reprises, de ces déchaînements orgiaques, il y aurait ici plutôt redondance, outre un exhibitionnisme et un voyeurisme complaisants que, sans être bégueule, on peut trouver franchement gênants. Le difficile acte IV, dans le morne bagne, tout de noir et d’un statisme contrastant fortement avec ce qui précède, revient à une présentation nettement plus ordinaire, jusqu’à un magnifique rétablissement pour le finale, où réapparaît la vidéo de piscine initiale, pour la noyade des deux femmes.

Alors que la production peut laisser ainsi sur une impression mitigée, la prestation musicale est uniment enthousiasmante. Pour l’héroïne d’abord, dont on s’étonne qu’après tant de Renata explosives de L’Ange de feu notamment, Ausrine Stundyte conserve toute la beauté de son timbre, et la pureté de ses aigus, jusqu’au monologue final, qui reste délicatement phrasé et murmuré ; et l’actrice est constamment fascinante.

En Sergueï, Pavel Cernoch lui donne une superbe réplique, ténor mordant, percutant et, lui aussi, remarquablement investi, jusque dans les déculottages complets, dos tourné au public. Puisque l’un et l’autre acceptent de s’exhiber ainsi sans pudeur aucune, on dira que leurs anatomies et leurs talents dans des activités relevant de la sphère privée, n’ont rien à envier à ceux des spécialistes auxquels on recourt ordinairement en ce cas.

Le reste du plateau est du même niveau, à commencer par le très impressionnant Boris de Dmitry Ulyanov, aux basses profondes, et dont le costume-cravate  de bureaucrate n’enlève rien à la brutalité sordide. Un John Daszak en grande forme, à l’aigu insolent, ferait douter du peu de virilité de Zinovyï. Sofija Petrovic est une séduisante Aksinia ; Oksana Volkova, une Sonietka d’une diabolique perfidie. Et tous les autres rôles sont d’une caractérisation et d’une tenue vocale exemplaires.

On ne saurait trop louer, enfin, la prestation de l’Orchestre de l’Opéra National de Paris, et des Chœurs toujours à leur sommet, sous la baguette magistrale d’Ingo Metzmacher. Le chef allemand ajoute pertinemment, avant l’acte IV, le premier mouvement du Quatuor n° 8 de Chostakovitch (dans l’orchestration de Rudolf Barshai), qui livre un autoportrait poignant du compositeur, et distribue opportunément des fanfares sur les balcons de la salle, qui donnent aux passages paroxystiques une dimension véritablement apocalyptique.

La partition en ressort magnifiée comme jamais : on se réjouirait de l’entendre de nouveau dans ces conditions exceptionnelles, hésitant peut-être, en revanche, à revoir une production assurément marquante mais dont on peut estimer qu’elle sert prioritairement, comme souvent avec lui,  les fantasmes de son responsable.

FRANÇOIS LEHEL

PHOTO © OPÉRA NATIONAL DE PARIS/BERND UHLIG

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