Comptes rendus Tannhäuser surtout visuel à Amsterdam
Comptes rendus

Tannhäuser surtout visuel à Amsterdam

27/04/2019

De Nationale Opera, 10 avril

Il aura manqué, pour que cette nouvelle production de Tannhäuser mérite d’entrer de plein droit dans les annales, une distribution capable de se hisser au niveau espéré, à une époque exceptionnellement prodigue en voix wagnériennes d’envergure, voire prodigieuses, du moins pour quelques-unes d’entre elles.

Certes, Stephen Milling a intégré cette élite voici près de deux décennies, basse éminente dont le Landgrave fait valoir une autorité formidablement tonnante. Révélée par son ensorcelante Brangäne à l’Opéra Bastille, en 2005, Ekaterina Gubanova y est, depuis, devenue incontournable. Venus – qu’elle étrennait, semble-t-il – convient-elle aussi bien au bronze galbé de son opulent mezzo, dont le vibrato tend à s’élargir au détriment du texte ? Du très beau son, en somme, et dont l’ampleur enveloppante laisse tout sauf indifférent, mais pas assez de mots.

Svetlana Aksenova n’avait, pour sa part, jamais encore abordé le répertoire wagnérien, et il n’est pas certain que cette première incursion en appelle d’autres. Son Elisabeth ne saurait toutefois se réduire à un « Dich, teure Halle » chaotique, dès lors qu’elle parvient, dès le duo suivant, à concentrer une émission dont elle démontre peu à peu la maîtrise. C’est, en définitive, la couleur d’un soprano corsé, parfois jusqu’à la limite de l’aigreur, qui l’empêche de séduire et d’émouvoir.

Novice lui aussi, le baryton allemand Björn Bürger se distingue grâce à un Wolfram d’une clarté éloquente, magnifiée par un legato d’école, qui ne peut néanmoins masquer le défaut de consistance du registre inférieur, qu’une maturation suffisamment patiente étoffera sans le brutaliser.

Daniel Kirch n’a, manifestement, pas brûlé d’étape avant de s’emparer des rôles de Heldentenor qu’il fréquente désormais assidûment. Il n’en commet pas moins une erreur de débutant, s’élançant avec des réflexes de sprinter, alors que Tannhäuser exige une discipline de marathonien.

En moins d’un quart d’heure, au premier acte comme au second, l’instrument se voile, s’accrochant tant bien que mal aux restes épars d’un éclat moins héroïque, peut-être, qu’anarchique. Est-ce parce qu’il ne se sent pas contraint d’y faire assaut de puissance avec l’une ou l’autre de ses partenaires, que le « Récit de Rome » montre le ténor allemand plus endurant, encore que fruste, et finalement peu attachant ?

Marc Albrecht n’érige pourtant pas de mur de décibels, veillant au contraire aux équilibres avec un orchestre (Nederlands Philharmonisch Orkest) sinon impersonnel, du moins toujours un peu lisse. Excellent chef de fosse, le directeur musical du DNO (De Nationale Opera) sait par ailleurs faire monter la tension, sans sacrifier la lisibilité de la matière instrumentale, ni prendre de pose analytique lorsque le drame exige qu’elle se densifie et s’embrase, jusqu’à l’ivresse.

Préparés par l’infaillible Ching-Lien Wu, les chœurs – masculins en particulier, modèles de cohésion et de réactivité – font preuve d’un investissement qui accroît la sensation de plénitude procurée par cette lecture supérieurement accomplie de la partition.

D’autant que l’intelligence, et l’intelligibilité du travail de Christof Loy – mais pourquoi diable, au risque de nous répéter, n’est-il presque jamais engagé en France ? –, s’en font l’écho et le prolongement. En élargissant aux dimensions du vaste plateau amstellodamois le foyer de la danse de l’Opéra Le Peletier, ainsi que l’a peint Degas, le metteur en scène allemand replace Tannhäuser dans le contexte de sa création parisienne, le 13 mars 1861, et met face à face le compositeur et les membres du Jockey Club, dont l’hostilité le poussa à retirer son ouvrage de l’affiche après trois représentations.

D’autres se seraient pris au piège d’un procédé dramaturgique qui peut facilement tourner à vide. Mais le regard critique de Loy, à la fois sur la société dont il dénonce l’hypocrisie – celle de ces hommes infatués qui se rendaient à l’Opéra après dîner, leur épouse à leur bras, pour voir danser leur maîtresse – et sur Wagner – avide de la reconnaissance d’une bourgeoisie qu’il adorait détester, monument de contradictions exposé sous la lumière la plus crue dans sa création sans doute la plus autobiographique – alimente un théâtre d’une stupéfiante acuité et traversé de fulgurances poétiques, comme cette présence simultanée d’Elisabeth et Venus, au troisième acte, qui pourrait n’être qu’une vision, un rêve de Wolfram.

Surtout, par un geste chorégraphique dont la « Bacchanale » dégénère en viol collectif, pratiqué sur des ballerines de tous âges par une horde de prédateurs sexuels en tenue de soirée. Images saisissantes, qui hanteront longtemps la mémoire.

MEHDI MAHDAVI

PHOTO © DNO/MONIKA RITTERSHAUS

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