Comptes rendus Création mondiale réussie à Aix-en-Provence
Comptes rendus

Création mondiale réussie à Aix-en-Provence

04/08/2019

Théâtre du Jeu de Paume, 6 juillet

Commande conjointe du Festival d’Aix-en-Provence et des Théâtres de la Ville de Luxembourg, Les Mille Endormis, création mondiale de l’opéra d’Adam Maor (né en 1983), sur un livret et dans une mise en scène de Yonatan Levy, est une réussite à tous points de vue, musical, vocal et théâtral. Sans pouvoir prétendre à la résolution du conflit israélo-palestinien, les deux artistes en proposent une approche originale qui infuse encore durablement dans l’esprit des spectateurs, à l’issue de ce court opus d’une heure.

Le roman et le livret, en hébreu, ont été rédigés simultanément, si bien que celui-ci, ni réduction ni adaptation du premier, forme un texte de qualité. Le rideau est déjà levé quand on entre dans la salle : le bureau du Premier Ministre israélien trône au milieu d’un praticable qui penche d’un côté, avec tout autour des transats et lits superposés où sont allongés des figurants, chacun alimenté par un goutte-à-goutte. Ils représentent les mille détenus palestiniens en grève de la faim, que le Premier Ministre décide de plonger dans le sommeil, afin de faire baisser la pression internationale.

Sauf que, quelques années après l’endormissement, plus rien ne va : le Premier Ministre est devenu extrêmement perturbé, tout comme ses compatriotes qui font des cauchemars ou sont sujets à insomnie. En concertation avec S., le chef du Service Général de la Sécurité, il est décidé d’envoyer une espionne pour infiltrer le monde des rêves, le choix se portant sur Nourit, l’assistante du Premier Ministre. Après son passage dans le camp d’en face, celle-ci décide finalement de demeurer dans ce monde des songes formé par les « Mille Endormis ».

Les quatre solistes ont déjà fréquenté l’Académie du Festival, à l’exception de David Salsbery Fry, très inquiétant S., tout de noir vêtu, aux oreilles augmentées de Monsieur Spock. Sa sombre basse paraît psalmodier ses interventions dans un extrême grave tirant du côté de Dark Vador. Le rôle du Premier Ministre est attribué au baryton Tomasz Kumiega, sollicité sur toute l’étendue de sa tessiture, avec quelques excursions vers des suraigus en voix de tête.

L’assistante Nourit, robe rouge et chignon tour de Babel, est défendue par la soprano Gan-ya Ben-gur Akselrod, aussi à l’aise dans les passages lyriques que dans les séquences aux accents plus orientaux. Sa scène finale est, en particulier, très émouvante, lorsqu’elle part en infiltration munie d’une valise à lumière rouge clignotante, comme celle qu’on imagine d’un kamikaze. Seule la petite ampoule clignote dans le noir complet de la salle, puis quand l’éclairage revient, elle émet un chant d’une grande douceur d’influence arabe, souvent à bouche fermée.

Le ténor Benjamin Alunni complète en enchaînant plusieurs rôles successifs, le plus marquant étant celui du Cantor, tout habillé de blanc et coiffé d’une sphère dorée en treillis, faisant ses annonces en alternant voix de poitrine et voix de tête, avec de brefs passages en un gorgheggio comique. Il faut noter que les voix, parfois amplifiées, sont sujettes aux légers traitements électroniques ou informatiques de l’Ircam, produisant par instants des effets acoustiques aux accents de science-fiction d’un « space opera ».

Les huit musiciens de l’ensemble de chambre luxembourgeois United Instruments of Lucilin jouent une partition d’une belle densité, qui accroche et séduit l’oreille dès les premières mesures, dirigée avec précision et passion par Elena Schwarz. La musique est toujours en situation, digne même d’une relaxation transcendantale pendant la séance d’hypnose que prodigue S. à Nourit pour l’envoyer espionner les « Mille Endormis », d’une voix proche de celle d’un robot (« Réglez votre respiration sur la fréquence de ma voix »).

La conclusion se situe entre pessimisme (« La terre est perdue ») et optimisme (« Il ne peut y avoir d’autre patrie pour l’homme que celle qui se trouve entre une âme et une autre »), une belle note d’espoir… même si sa mise en application paraît moins évidente.

FRANÇOIS JESTIN

PHOTO © PATRICK BERGER/ARTCOMPRESS

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