Comptes rendus Formidable Hamlet à Nantes
Comptes rendus

Formidable Hamlet à Nantes

05/10/2019

Théâtre Graslin, 28 septembre

Depuis quelques années, à chaque nouvelle présentation, les raisons de réhabiliter Hamlet (Paris, 1868) apparaissent dans toute leur évidence. La qualité de cette nouvelle coproduction entre Angers Nantes Opéra et l’Opéra de Rennes devrait dissiper définitivement les réticences.

Le metteur en scène belge Frank Van Laecke prend le parti de suivre la musique pour pénétrer dans l’univers personnel d’Hamlet. La vulnérabilité extrême du jeune prince – mort du père, mariage précipité de la mère – détruit toute foi en la vie. Fasciné par l’horreur de la trahison, il vit à l’intérieur de sa vision et, ayant promis de ne rien oublier, se débat dans son propre piège.

Emmuré dans une sorte de cachot aux murs gris sur lesquels, inlassablement, il trace des crânes, Hamlet, pieds et torse nus, bouteille à la main, va d’une paillasse à l’urne contenant les cendres de son père, symbole du deuil. Cet espace s’ouvre sporadiquement sur le reste du palais, ou sur le spectacle du monde, figuré par un plan incliné qui domine le cachot. Les différentes « actions » apparaissant à la faveur de cette ouverture (le mariage de Gertrude et Claudius, le cortège funèbre d’Ophélie, les acclamations finales) forment des visions irréelles, Ophélie et Gertrude devenant les médiatrices entre les deux mondes.

Deux réussites absolues signent cette fidélité à l’essentiel, au cœur même d’une transposition intelligente. Pour la mise à l’épreuve de Claudius par la représentation du Meurtre de Gonzague, Hamlet se fait metteur en scène, avec le concours de trois bouffons, sans que le procédé tombe, une fois de plus, dans l’exercice gratuit du « théâtre dans le théâtre ». Les courtisans occupent le parterre de la salle, à cour et jardin ; les souverains, dans une avant-scène, sont démasqués par la lumière aveuglante de la vérité qui se fait jour.

Pour la scène de folie, ensuite, Frank Van Laecke se souvient qu’Ophélie ne vit que par la promesse d’Hamlet : « Doute de la lumière, mais ne doute jamais de mon amour ! » Au lieu de s’enfoncer dans les eaux noires du lac, elle monte donc vers la lumière, entre deux rangées de squelettes revêtus de robes de bure et porteurs de masques.

Pierre Dumoussaud dirige avec ferveur l’Orchestre National des Pays de la Loire et le Chœur d’Angers Nantes Opéra, aux voix impeccables. Il croit à la subtilité, à l’invention d’une musique profondément soucieuse de retrouver Shakespeare, en se traçant un chemin personnel dans le monde du second romantisme. Les détails de l’orchestration, le mouvement de la déclamation, n’ont aucun secret pour lui et son travail avec le metteur en scène offre une cohésion parfaite.

Une distribution exemplaire sert ce dessein de retour à l’intention du compositeur. Dans le rôle-titre, Kevin Greenlaw a la voix longue et ductile qui affronte aussi bien la vaillance désespérée de « Ô vin, dissipe la tristesse » que le lyrisme du duo d’amour avec Ophélie, la violence des affrontements avec Gertrude et la méditation « Être ou ne pas être », sans oublier la scène « La fatigue alourdit mes pas… Comme une pâle fleur », où le beau chant succède au récitatif dramatique dans une progression continue.

Le baryton américain émeut dans ses hésitations à frapper Claudius agenouillé, puis accomplit sa destinée en un suicide qui dément le finale heureux de l’opéra. Sa diction française, le soin de liaisons discrètes mais réelles, méritent le respect.

À ses côtés, la soprano canadienne Marie-Eve Munger n’est pas seulement bien chantante, mais compose une Ophélie des plus crédibles. Julie Robard-Gendre, altière Gertrude, aussi proche d’une fée de Lewis Carroll que d’une Lady Macbeth, témoigne d’une homogénéité sans faille, du suraigu aux graves sombres sans poitrinage excessif.

Philippe Rouillon, vrai baryton héroïque du « grand opéra » français, commence par déclamer le rôle de Claudius comme s’il était chargé d’une exposition du drame. Sa diction mordante, sa projection impressionnante, rendent justice au meurtrier progressivement gagné par le remords.

La superbe voix de basse de Jean-Vincent Blot se passerait bien d’une sonorisation censée lui donner ce qui convient de sépulcral au Spectre du feu roi. La mise en scène ne montre pas ce spectre et tient à éviter sa localisation en un point de la salle. La question de sa réalité reste donc ouverte.

Une ovation unanime accueille ces retrouvailles avec le chef-d’œuvre d’Ambroise Thomas. Cette fois doit être la bonne.

PATRICE HENRIOT

PHOTO © JEAN-MARIE JAGU

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