Comptes rendus Retour concluant de Porgy and Bess au Met
Comptes rendus

Retour concluant de Porgy and Bess au Met

14/10/2019

Metropolitan Opera, 30 septembre

La relation que le Met entretient avec Porgy and Bess ne date pas d’hier. C’est là, en effet, qu’aurait été créé le chef-d’œuvre de George et Ira Geshwin, si les deux frères avaient accepté des interprètes blancs maquillés de noir (les Afro-Américains étaient à l’époque interdits sur la première scène new-yorkaise).

La première eut finalement lieu à Broadway, le 10 octobre 1935 (après un galop d’essai à Boston, le 30 septembre), avec, dans le rôle de  Porgy, Todd Duncan – le baryton qui, dix ans plus tard, allait être le premier artiste de couleur à fouler les planches d’une grande compagnie d’opéra américaine, en Tonio dans Pagliacci, au New York City Opera.

Par la suite, la partition subit de lourdes coupures, pour se conformer au style en vogue à Broadway, avant de retrouver une allure davantage opératique lors d’une nouvelle production du Houston Grand Opera, en 1976. Depuis, les productions se sont multipliées, les théâtres faisant bouger le curseur tantôt dans le sens de l’opéra, tantôt dans celui du « musical ».

Porgy and Bess a finalement fait son entrée au répertoire du Met, en 1985, y obtenant un vrai succès, malgré la présence, dans les rôles-titres, d’une Grace Bumbry et d’un Simon Estes hors de leur territoire d’élection, aux côtés d’une Florence Quivar et d’un Gregg Baker, en revanche, inoubliables. La mise en scène de Nathaniel Merrill a été reprise ensuite jusqu’en 1990, pour un total de 54 représentations.

Partagée avec le DNO (Amsterdam) et l’ENO (Londres), qui l’ont déjà affichée, la nouvelle production d’ouverture de la saison 2019-2020 est l’occasion pour James Robinson de faire ses débuts au Met. Avec le concours d’une distribution dramatiquement engagée et d’un chœur épatant, l’un des metteurs en scène américains les plus talentueux de notre époque recrée l’« âme » du quartier de Catfish Row, à Charleston (Caroline du Sud), en veillant à ce que le spectacle avance avec fluidité.

Il est grandement aidé par la chorégraphe Camille A. Brown – de manière étonnante, la seule Afro-Américaine de l’équipe de production –, qui a accompli un formidable travail sur les mouvements des masses chorales. Les huit danseurs de sa compagnie, en revanche, trop visiblement professionnels et athlétiques, ne trouvent pas leur place au milieu de la communauté de pauvres pêcheurs évoquée par le livret.

Les éclairages affûtés de Donald Holder et les jolies projections de Luke Hall sur les rideaux d’avant-scène (photos noir et blanc, silhouettes de bâtiments construits sur des marécages…) contribuent à la juste atmosphère des lieux, davantage que les décors trop léchés de Michael Yeargan. Aussi impressionnants soient-ils, ceux-ci ressemblent à un immeuble en copropriété très cossu, comme on en voit dans les métropoles américaines, n’évoquant jamais une communauté tenue à l’écart.

David Robertson peut être un excellent chef, comme ce fut le cas pour l’entrée au répertoire du Met de L’Affaire Makropoulos, avec la regrettée Jessye Norman, à laquelle cette représentation de Porgy and Bess est dédiée. Il ne témoigne, hélas, d’aucune affinité avec la musique de Gershwin et cautionne des coupures rédhibitoires.

Nous gardions le souvenir du magnifique Porgy incarné par Eric Owens, à San Francisco, en 2009. Musicien et fin diseur comme toujours, le baryton-basse américain, cette fois, apparaît en méforme, avec un timbre sec et une projection inerte. De même, aussi amusante soit-elle, Denyce Graves a la voix trop usée pour Maria.

Angel Blue, en revanche, chante superbement et émeut en Bess, à l’instar de la magnifique Latonia Moore en Serena et de l’attachante Golda Schultz en Clara, qui délivre un splendide « Summertime ».

Chez les messieurs, Alfred Walker n’a pas la stature physique, ni les accents menaçants de Crown. L’excellent Jake de Ryan Speedo Green annonce un futur Porgy, le timbre sombre du ténor Frederick Ballentine donnant un relief inhabituel à Sportin’ Life. Impeccables, également, Chauncey Packer en Robbins et Arthur Woodley en Frazier.

À la condition de changer de chef, nul doute que cette production tiendra l’affiche pendant de longues années !

DAVID SHENGOLD

PHOTO © METROPOLITAN OPERA/KEN HOWARD

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