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Comptes rendus

Bordeaux fait fête aux Contes d’Hoffmann

15/10/2019

Grand-Théâtre, 19 septembre

Les Contes d’Hoffmann sont l’un de ces chefs-d’œuvre auxquels Marc Minkowski revient de manière régulière, comme s’il ne se lassait pas d’en explorer les innombrables facettes.

Le caractère inachevé de la partition ne peut que l’y inciter, la version dirigée pour l’ouverture de la saison 2019-2020 de l’Opéra National de Bordeaux s’avérant sensiblement différente de celle que nous avions découverte à l’Opéra de Lausanne, en 2003. Et pourtant, elles portent toutes les deux la signature du musicologue Jean-Christophe Keck, dont l’édition critique de la partition, cosignée avec Michael Kaye et proposant toutes les variantes possibles, laisse aux interprètes une marge de manœuvre dans leurs choix.

La version que nous avons entendue à Bordeaux est à la fois cohérente sur le plan dramaturgique – l’acte de Giulietta retrouve une longueur correspondant à son importance – et musicalement superbe – rien que dans ce même acte, on succombe à la beauté de l’air de Dapertutto, « Répands tes feux dans l’air », et du grand concertato, « Voyez ! Il n’a plus le moindre reflet ! ».

Le 19 septembre, soir de la première, tout n’a pas été facile. Directeur général de l’Opéra, Marc Minkowski a dû batailler jusqu’à la dernière minute pour qu’une grève des techniciens, qui avait déjà compromis la pré-générale et la générale, ne vienne pas renverser l’édifice. Et, comme si cela ne suffisait pas, alors que le spectacle se déroulait sans accroc, les aspirateurs de fumée se sont inopinément déclenchés pendant le finale, distrayant l’attention des artistes et du public.

C’est néanmoins le cœur réjoui que nous avons quitté le Grand-Théâtre, davantage d’ailleurs grâce à une exécution musicale de haut niveau qu’à la mise en scène de Vincent Huguet, fluide, propre, lisible, mais sans surprise. Dès le Prologue, celle-ci décline le principe du « théâtre dans le théâtre » : décor unique composé d’éléments mobiles, reproduisant l’escalier du hall d’entrée du Grand-Théâtre, avec sa porte flanquée des statues de Thalie et Melpomène ; « étudiants » et « invités de Monsieur Spalanzani » habillés en machinistes, pompiers, instrumentistes…

Le deuxième fil conducteur est le mythe de la diva : capricieuse dans le cas d’Olympia, non plus poupée mais prima donna foldingue (l’une des rares infidélités de Vincent Huguet au livret) ; phtisique dans celui d’Antonia, dont la Mère chante devant un écran où défilent des images de L’Inhumaine (1924), le film de Marcel L’Herbier évoquant la vie d’une cantatrice célèbre ; vénéneuse et obsédée par le vieillissement physique dans celui de Giulietta.

Avec le concours de costumes rattachant l’intrigue à notre époque (dont les inévitables complets sombres et chemises blanches pour les messieurs !) et d’éclairages soignés jusqu’à paraître aseptisés, l’ensemble baigne dans une neutralité de bon aloi, apte à satisfaire – sans les contenter totalement – les tenants de la tradition comme les adeptes de la « relecture » à tout crin. Le futur de l’art lyrique résiderait-il dans ce moyen terme ?

Au moins le travail de Vincent Huguet ne fait-il jamais obstacle au pouvoir d’évocation de la musique, dirigée par un Marc Minkowski à son meilleur dans Offenbach. L’Orchestre National Bordeaux Aquitaine sonne un peu trop fort et brutal au début, mais la soirée trouve vite son rythme, portée par l’énergie et le sens des contrastes du chef. Quant au chœur maison, préparé par Salvatore Caputo, il n’appelle aucun reproche.

Côté solistes, saluons d’abord la performance de Jessica Pratt, qui relève le défi des quatre rôles féminins avec une endurance stupéfiante – et il en faut à la soprano australienne dans cette production, notamment dans l’acte de Venise, quand elle doit affronter la version « vocalisante » de « L’amour lui dit : la belle… ».

L’instrument a considérablement gagné en richesse et en puissance, ce qui lui permet de franchir tous les écueils de Giulietta et d’Antonia, sans rien perdre de sa précision dans les agilités d’Olympia – la comédienne est, de surcroît, hilarante dans son numéro de diva accro aux friandises, bien plus drôle que celui de beaucoup de « poupées ». L’interprète peut sans doute gagner encore en candeur et en poésie dans « Elle a fui, la tourterelle ! », mais, surtout, la technicienne doit impérativement tenir sous contrôle un vibrato qui pourrait devenir gênant à la longue.

Nous connaissions les qualités de Nicolas Cavallier dans sa quadruple incarnation diabolique. Il nous a encore plus ébloui qu’à Monte-Carlo, en 2010 : voix, présence, naturel de la diction, tout y est ! Jérôme Varnier, en très grande forme, impressionne en Luther et Crespel, tout comme l’éblouissant Marc Mauillon dans les quatre « valets » et les épatants Christophe Mortagne et Éric Huchet.

Avouons qu’Aude Extrémo nous laisse, une fois encore, perplexe : le timbre de la mezzo française est chaleureux, l’aigu d’une facilité sidérante, mais la voix paraît comme artificiellement grossie dans le bas médium et le grave, à la fois anguleux et tubés. Du coup, son meilleur moment est l’un de ceux écrits le plus haut pour Nicklausse : le splendide « Vois sous l’archet frémissant ».

Adam Smith, enfin, faisait ses débuts en Hoffmann, Eric Cutler ayant déclaré forfait quelques semaines plus tôt. Son trac était donc perceptible. C’est sans doute pourquoi la voix a donné l’impression de ne jamais vraiment « sortir », trahissant l’effort dans les passages les plus exposés dans l’aigu.

Par chance, le jeune ténor britannique (32 ans) est un musicien intelligent, doublé d’un beau gosse et d’un excellent comédien. Avec l’appui d’un timbre pas exactement séduisant mais assurément accrocheur, cela devrait faciliter le démarrage de sa carrière internationale. Nous souhaitons maintenant le réentendre dans un contexte plus favorable.

RICHARD MARTET

PHOTO © ÉRIC BOULOUMIÉ

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