Comptes rendus Guillaume Tell dépouillé à l’extrême à L...
Comptes rendus

Guillaume Tell dépouillé à l’extrême à Lyon

30/10/2019

Opéra, 13 octobre

Plutôt que la lutte d’un peuple contre l’oppression et la tyrannie, c’est celle de la musique et de l’harmonie, symboles de la civilisation, contre la barbarie, que le metteur en scène allemand Tobias Kratzer a voulu voir dans Guillaume Tell.

Dès l’Ouverture, le concept est posé : tandis qu’un couple danse sur le solo de violoncelle joué sur le plateau, un groupe d’individus en battle-dress, matraques et cannes de golf à la main, fait irruption pour les intimider et après les avoir fait fuir, détruit l’instrument abandonné, dont Guillaume vient ramasser les débris.

Si la métaphore est intéressante, et permet d’élargir le propos, elle ne se décline pas toujours avec la même évidence tout au long des quatre actes, et réclame pas mal d’imagination de la part du public. Voir le héros brandir une arbalète de fortune, faite de fragments d’instruments de musique, face à la terrible violence des sbires de Gesler, notamment dans le ballet du III, paraît ainsi légèrement décalé et frise le ridicule.

Dans la figure de Guillaume Tell, autant que le meneur d’hommes, Tobias Kratzer met en évidence le père de famille. Pour concrétiser cet aspect, il dédouble le personnage de Jemmy, incarné par un petit violoniste (Martin Falque) et fort bien chanté par Jennifer Courcier, présente sur le plateau comme si elle était la grande sœur de l’enfant.

La fête des pasteurs devient une cérémonie conviviale, où le chœur assiste à un repas, offrant l’image parfaite du bonheur domestique, tel que le prône le livret. Si la Suisse est encore présente, c’est dans une photo de montagne en fond de scène, sur laquelle coule, à chaque regain de violence, une substance noire qui finit par la couvrir tout à fait au final.

Dans un rôle qu’il fréquente depuis sept ans, Nicola Alaimo offre toujours la même qualité d’articulation et une sensibilité incontestable, qui lui vaut un triomphe dans son célèbre air du III. Le baryton italien paraît néanmoins parfois à la peine face à cette tessiture large, qui l’oblige à forcer ses moyens dans les moments héroïques.

John Osborn met quelque temps à se chauffer en Arnold. Le ténor américain ne donne vraiment toute la mesure de ses moyens que dans sa grande scène du IV. Nouvelle venue dans le rôle de Mathilde, la soprano canadienne Jane Archibald manque un peu d’épaisseur dans le grave, mais peut compter sur son brillant registre aigu pour conquérir le public.

Du côté des basses, Tomislav Lavoie est un imposant Melcthal, Patrick Bolleire, un solide Walter, et Jean Teitgen, un Gesler très crédible. Enkelejda Shkoza apporte à Hedwige une présence exceptionnelle, et l’ensemble des petits rôles est tenu avec efficacité.

Remarquablement préparés par Johannes Knecht, les Chœurs de l’Opéra de Lyon offrent autant de présence scénique que vocale, donnant au magnifique hymne final, extraordinairement exalté par la direction puissamment dramatique du chef italien Daniele Rustioni, toute la ferveur voulue.

Quelques coupures ramènent l’œuvre à une durée de moins de quatre heures, mais on se félicite du maintien du chœur des chasseurs au II, que la mise en scène utilise judicieusement pour concrétiser l’assassinat de Melcthal.

Malgré quelques moments discutables de métathéâtre, comme le second degré du duo entre Mathilde et Arnold, et les chorégraphies  plutôt insignifiantes de Demis Volpi, cette vision en noir et blanc, dépouillée à l’extrême et centrée sur l’humain, où violence et détresse sont terriblement palpables, réussit pleinement à toucher au cœur de l’œuvre et de son message de paix et d’amour.

ALFRED CARON

PHOTO © BERTRAND STOFLETH

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