Comptes rendus Luxueuse Mort à Venise à Londres
Comptes rendus

Luxueuse Mort à Venise à Londres

10/12/2019

Royal Opera House, Covent Garden, 30 novembre

Unanimement encensée outre-Manche, plébiscitée par le public – toutes les représentations affichaient complet depuis des mois –, cette nouvelle production de Death in Venice n’en soulève pas moins certaines questions d’ordre esthétique et dramaturgique.

Il ne s’agissait certes pas d’attendre de David McVicar – qui, après des débuts censément iconoclastes, est devenu la valeur refuge des garants de la tradition – un parti pris d’une contemporanéité sulfureuse. Mais n’y a-t-il pas dans la nouvelle de Thomas Mann, et de l’opéra en forme de chant du cygne qu’en a tiré Benjamin Britten, dans la dimension incontestablement autobiographique de l’une et de l’autre, matière à autre chose qu’une luxueuse littéralité ? Encore qu’il soit possible d’imaginer, dans la mesure où le cadre du décor est fixe, que toute l’histoire se déroule dans l’esprit d’Aschenbach, qui ne quitte pas Munich.

Bien sûr, le metteur en scène sait, comme peu d’autres, et avec une admirable fluidité dans leur enchaînement, ordonner et animer de véritables « tableaux vivants », baignés de lumières picturales de Paule Constable. Colonnade et arcs brisés, Vicky Mortimer recrée une Venise aux contours trop nets – tant pis pour le dédale fantasmé où Aschenbach poursuit la famille de Polonais –, à l’instar de ceux de la plage du Lido, avec sa mer au scintillement figé dans un bleu irréel, ou du majestueux hôtel, dans la chambre duquel trône un lit monumental en bois précieux.

Les costumes, également imaginés par Vicky Mortimer, sont absolument d’époque, et la chorégraphie de Lynne Page est d’un classicisme pudique, comme s’il fallait tenir à distance le mystère troublant – car exotique ? – de la musique, inspirée du gamelan, qui accompagne les évolutions de Tadzio. Quant à la gondole perdue dans la brume, la pénombre qui l’entoure ne suffit pas à exhaler l’odeur de mort qui monte.

Dès lors, Mark Padmore rend seul sensible la crise créatrice, existentielle, le désir inavouable, l’amour interdit, tous ces symptômes de la maladie qui ronge Aschenbach, et son déclin physique inexorable, malgré la teinture et le fard. Par son engagement absolu et la force de conviction de son incarnation, mais aussi par son timbre singulier, où passent les reflets d’une jeunesse trop vite fanée, et un vibrato portant son âge, sans compromettre l’intégrité d’un chant d’une déchirante profondeur dans l’introspection des monologues accompagnés au piano.

Pour lui donner la réplique, et le précipiter vers sa perte, Gerald Finley change de visage, de voix, de langue parfois – l’italien savoureux de son Barbier ! –, avec une aisance diabolique, à laquelle Randall Scotting, substitué à Tim Mead, probablement souffrant, oppose un Apollon sain, robuste, projeté avec une franchise solaire. Miroir de la blondeur de Tadzio, elle illumine la musculature élancée de Leo Dixon, dont les traits ont conservé une indispensable part d’adolescence.

À la tête d’un orchestre moins dense et coloré que dans Billy Budd, la saison dernière – du fait, aussi, de l’écriture –, Richard Farnes trouve, avec sûreté et modestie, le juste équilibre entre austérité et séductions, sinon luxuriances, d’une partition que la veuve de Thomas Mann plaçait à la même hauteur que la nouvelle de son époux.

MEHDI MAHDAVI

PHOTO ©  ROH/CATHERINE ASHMORE

Pour aller plus loin dans la lecture

Comptes rendus Un très grand Siegfried à Madrid

Un très grand Siegfried à Madrid

Comptes rendus Paris en fête

Paris en fête

Comptes rendus Un adieu triomphal

Un adieu triomphal