Comptes rendus Rusalka chorégraphiée à Anvers
Comptes rendus

Rusalka chorégraphiée à Anvers

23/12/2019

Opera Vlaanderen, 12 décembre

La réunion de l’opéra et de la danse, à laquelle invite le nom même de l’Opera Ballet Vlaanderen, était au programme de son nouveau directeur artistique, Jan Vandenhouwe. Rusalka, pourquoi pas ? Le merveilleux du conte, le symbolisme, l’interdiction de la parole aussi, qui fait partie de la donnée dramatique, ou encore l’omniprésence de l’élément aquatique donnaient des bases de départ possibles.

Le choix du jeune chorégraphe norvégien Alan Lucien Oyen, qui avait fasciné par son spectacle au Théâtre National de Chaillot, en 2017, s’est révélé le bon. Parti simple dans son principe, superbement élaboré dans sa réalisation, avec le décor unique de son scénographe attitré, Asmund Faeravaag : sur deux plateaux tournants emboîtés, deux sculptures monumentales faites des mêmes hautes lamelles de bois blanc, aux formes arrondies et élancées, séparées par des espaces vides de même largeur, et savamment agencées.

Les combinaisons sont innombrables, les vues de profil donnant l’illusion d’un volume continu, tout en courbes fluides, à la Jean Arp, les vues frontales ou latérales découvrant complètement ou laissant transparaître le vide intérieur. Les très beaux éclairages de Martin Flack démultiplient  les effets, pour un déroulement sans cesse renouvelé, qui tient sous le charme.

La chorégraphie peut très directement s’appuyer sur le texte : c’est à la danse qu’appellent les Dryades, à la fin du III, et le ballet du II est prévu par le livret. Ce n’est pas ce dernier pourtant, traité dans un sage néoclassicisme, qui révèle l’essentiel, mais cette gestique enveloppante et heurtée à la fois, multipliant les les déhanchements expressifs : pour doubler les ondines, avec les volutes tournoyantes de longues robes évoquant à merveille le monde des eaux ; pour matérialiser les rêves secrets des protagonistes ; ou encore pour concrétiser très efficacement les scènes de sorcellerie de Jezibaba.

Clef de voûte du tout, parmi l’excellente troupe permanente du Ballet, où elle est soliste, la jeune Américaine Shelby Williams, dont la haute silhouette, les bras longs et minces, l’incroyable souplesse, dans la robe plissée très judicieusement dessinée par Stine Sjogren, l’aptitude aux métamorphoses les plus subtiles permettent d’incarner admirablement Rusalka, mieux peut-être qu’aucune chanteuse ne pourra espérer le faire.

Plus épisodique, mais non moins saisissant,  le Vodnik dansant de son compatriote Matt Foley, premier soliste de la troupe, aux ressources de contorsions maléfiques inépuisables, comme les trois derviches qui l’assistent. Il s’agit bien de l’essence même du spectacle, sans hiatus au demeurant avec les chanteurs, qui peuvent s’adresser directement aux doubles de leurs partenaires, jouer avec eux, ou s’associer à leurs danses.

De ce côté, les satisfactions sont plus inégales. Le Vodnik de Goderdzi Janelidze  emporte sans réserve l’adhésion, puissante basse chantante, égale dans le registre, et dont la silhouette d’une autorité souveraine,  dans sa robe de mage assyrien, avec barbe et longue chevelure noire bouclée, contrepointe parfaitement son serviteur dansant.

On n’en dira pas autant de la Rusalka de Pumeza Matshikiza – en alternance avec Tineke Van Ingelgem –, qui nous laisse aussi dubitatif qu’à Strasbourg, il y a deux mois (voir O. M. n° 156 p. 54 de décembre 2019) : l’aigu se déploie magnifiquement dans les scènes finales, mais l’inégalité du registre continue de peser sur le fameux « Chant à la lune », comme sur l’air d’entrée du III. Méritante dans sa recherche d’expressivité, l’actrice reste ramassée sur elle-même, et sans le charisme suffisant pour compenser les limites de la direction d’acteurs.

Non prévu à l’origine, puis affiché en seconde distribution, Kyungho Kim remplace finalement Mykhailo Malafii pour la première : le timbre lumineux est adéquat, la voix un peu légère, l’expressivité réduite, pour un Prince qui reste honorable. Dans sa longue robe noire, Maria Riccarda Wesseling, au beau mezzo cuivré, donne une Jezibaba d’une noble autorité, et sans caricature, tandis que  Karen Vermeiren assume une Princesse étrangère de bon relief.

Des trois Dryades, se détache Raphaële Green, qui incarne aussi un malicieux Marmiton, pimentant des scènes toujours difficiles, où pèse cette fois l’absence de danseurs. Acceptables prestations d’autres membres de la troupe pour les comprimari.

Dernière vive satisfaction avec la direction musicale, à la fois ferme et souple, de la jeune Lituanienne Giedre Slekyte, qui tire le meilleur de l’orchestre de la maison.

FRANÇOIS LEHEL

PHOTO © FILIP VAN ROE

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