Comptes rendus Reine des Neiges complexe à Munich
Comptes rendus

Reine des Neiges complexe à Munich

18/01/2020

Nationaltheater, 21 décembre

« Ma musique sonne d’une façon simple, mais (…) elle est compliquée, aussi bien rythmiquement que techniquement. Il faut capturer cette simplicité, et elle naît de la complexité », déclare le compositeur danois Hans Abrahamsen (né en 1952) qui a travaillé, de 2014 à 2018, à cette Reine des Neiges d’après le conte d’Andersen, son premier ouvrage lyrique. Un opéra qui a vu le jour, le 13 octobre dernier, à Copenhague, avec un succès mitigé, déception imputable aussi à la mise en scène de Francisco Negrin, jugée trop technologique et abstraite.

Qu’une création puisse bénéficier, presque simultanément, d’une seconde chance est une singularité que l’on doit à la complicité artistique entre Hans Abrahamsen et Barbara Hannigan. La soprano canadienne ne souhaitait pas chanter en danois, et c’est pour qu’elle puisse, à son tour, interpréter l’ouvrage que le Bayerische Staatsoper de Munich a prévu une version alternative en anglais, dans une production entièrement différente.

Curieusement, Abrahamsen n’a pas songé à Barbara Hannigan pour le rôle-titre – cette Reine des Neiges que l’on imaginerait pourtant volontiers personnifiée par une cantatrice à l’aigu facile. Il a souhaité lui confier celui de la petite Gerda, qui passe tout l’opéra à libérer son ami Kay de l’influence maléfique de la glaciale souveraine, incarnée, quant à elle, par une basse (référence implicite au King Arthur de Purcell ?).

Une configuration qui, à Munich, a beaucoup gêné le metteur en scène allemand Andreas Kriegenburg, lequel s’est déclaré d’emblée opposé à toute identification visuelle de Barbara Hannigan avec une fillette de 11 ans. Un déni des conventions théâtrales pouvant sembler inutilement tortueux, les deux enfants du Hänsel und Gretel de Humperdinck, opéra auquel Abrahamsen a forcément pensé, fonctionnant après tout depuis des générations sans que l’on se pose ce genre de faux problème.

Outre la difficulté de découvrir une œuvre nouvelle, il reste donc au spectateur à faire le tri entre six personnages, au lieu de deux : de vrais enfants pour Gerda et Kay, cohabitant avec leur double projection à l’âge adulte, couples sosies dont, à chaque fois, un seul membre chante (Barbara Hannigan en Gerda, d’un côté ; Rachael Wilson en Kay, de l’autre).

Avec, pour objectif, de raconter une tout autre histoire que celle du livret : le drame vécu par une épouse aimante face à son mari mutique (l’acteur Thomas Grässle), muré dans une maladie mentale qui nécessite son internement. L’action se déroule dans un asile psychiatrique, peuplé d’infirmières en cornette et de chirurgiens sadiques, avec, en apothéose, une scène de guérison dans un sordide décor d’institut médico-légal. Vraiment plus efficace que la production danoise ?

Musicalement, la complexité revendiquée par le compositeur est patente, à l’écoute d’un orchestre dont la mise en place a, semble-t-il, posé d’énormes problèmes au chef allemand Cornelius Meister. De fascinantes sonorités raréfiées et tourbillonnantes, qui crissent et scintillent aux confins du silence. En revanche, les parties vocales, d’un confort tonal proche de comptines enfantines ou de chansons populaires, paraissent rudimentaires, répétitives mais habilement diffractées, ce qui peut produire quelques beaux effets, surtout quand Barbara Hannigan s’envole vers l’aigu.

Dommage qu’en dépit du maniement économe d’un effectif orchestral énorme, les voix passent mal. Peut-être aurait-il fallu envisager de les amplifier, pour donner davantage de relief à des rôles dans l’ensemble peu marquants, celui de Gerda excepté.

Accueil poli de la part d’un public de première qui s’ennuie, et superpose à la musique très peu sonore d’Abrahamsen une profusion de toux et raclements de gorge… Partition hivernale, elle aussi, d’une grande variété de timbres et de rythmes, aléatoire et spatialisée.

LAURENT BARTHEL

PHOTO © WILFRIED HÖSL

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