Comptes rendus Reims fête Grétry
Comptes rendus

Reims fête Grétry

01/04/2020

Opéra, 7 mars

Rendez-vous avancé rue Monsigny, à deux pas de Favart ; juste le temps d’arrêter un taxi… et de souffler : le chauffeur ne la confondra pas avec la rue Grétry, ni ne vous déposera avenue Mozart, dont il a au moins un air en tête. Inculte, certes, mais sûr. Mais si le nom de Monsigny vous a mis en tête « C’est ici que Rose respire », n’espérez pas être accueilli au bar par un fervent « Ô Richard ! ô mon roi ! » et gardez-vous d’engager conversation par une évocation émue des mérites respectifs de l’ingénu Dalayrac et du savant Philidor. Érudit, certes, mais raseur.

Inutile de verser une larme. Le riche corpus de l’« opéra-comique » français classique (de Dauvergne à Boieldieu) n’est plus, dans le répertoire lyrique, qu’une niche à peine visitée et souvent exploitée à rebours, troquant la (fausse) naïveté, qui en fait le charme, pour une désarmante puérilité.

On perd l’essentiel à jouer Grétry avec la plus mortelle littéralité solfégique et comme du sous-Mozart ; certes, on l’a dit, « une diligence et tout son équipage pourraient passer entre la basse et le dessus », mais si Grétry écrit « en creux », il dégage un espace propice à l’épanouissement de la matière sonore. Mais cette plénitude acoustique n’est pas donnée, elle est affaire d’écoute collective et individuelle, elle se construit.

C’est pour cela qu’avec dix musiciens et de simples ajustements, les ouvrages de Grétry  représentés à l’Opéra de Reims (Raoul Barbe-Bleue, en 2016 ; Richard Cœur de Lion, en 2018 ; Guillaume Tell, cette saison ; en attendant Le Magnifique, en 2022…) par la Compagnie les Monts du Reuil sonnent avec la plénitude, le mordant et la transparence qui manquent aux orchestres pléthoriques, voire routiniers.

Fondée et dirigée par Pauline Warnier et Hélène Clerc-Murgier (violoncelliste et pianiste), instruites d’une double expérience moderne et baroque, la Compagnie a témoigné, au fil des productions, d’une rare capacité à retrouver l’étincelle de vie qui assurait un succès international à ces pièces (comédies ou drames) mêlées d’ariettes : en alternance avec le cycle Grétry, on a pu découvrir, en 2014, Le Docteur Sangrado (1758) de Duni ; en 2015, Le Soldat magicien (1761) de Philidor ; en 2017, Le Jeune Sage et le Vieux Fou (1793) de Méhul…

Face à l’ultime chef-d’œuvre de Rossini, le Guillaume Tell de Grétry, créé en 1791, fait meilleure figure que ce qu’on pouvait craindre, à commencer par l’évidence d’un lien de filiation : une Ouverture pastorale (avec ranz des vaches) et héroïque ; des hors-d’œuvre pittoresques, dont la ronde coquine (?) « Bonjour, ma voisine » et la capiteuse chanson « Noisette » ; l’action parallèle autour du jeune Melktal, dont le mariage avec Marie (soprano) est contrarié par les événements, et dont le rôle est plus saillant que celui du héros (tous deux ténors).

Le grand air de Guillaume se situe au même endroit : « Mon fils, sois intrépide », conclura-t-il au terme de la prière « Tu vois, grand Dieu ». Comme de règle pour les personnages « noirs », Gesler (baryton-basse) n’a qu’un air en mineur, où éclate sa volonté de puissance : « Ce peuple, il faut qu’on l’opprime ».

Après une bataille orchestrale où pointe le Ça ira, le chœur final clame « Imitez notre courage, faites tout pour la liberté »… Pour le « bonhomme Grétry », son Guillaume Tell, opportuniste ou sincère, lui vaudra, en pluviôse an V (janvier-février 1797), la publication de la suite de ses Mémoires.

Cette production, modeste par ses moyens mais remarquable dans son esprit, nous a permis d’apprécier l’œuvre à sa juste mesure (nous n’avions pas assisté au spectacle de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, en 2013). Dans un décor en échafaudage aussi laid qu’inexplicable, la mise en scène de Juan Kruz Diaz de Garaio Esnaola pèche juste par quelques coquetteries, compensées par une direction d’acteurs très vivante et de jolis costumes.

Au début, des hommes à quatre pattes, cloche au cou, miment les bœufs, symbole sans doute de l’asservissement du peuple, car nul vacher suisse ne mène ses bêtes à coups de pieds ! L’impalpable solo de clarinette du Pâtre de l’Ouverture ne le laissait guère prévoir…

Distribution de bon aloi et, surtout, stylistiquement exemplaire, avec cette seule réserve que la prononciation manque de netteté chez les dames. Peu de coupures dans la partition, malgré l’absence de chœur ; en revanche, les dialogues ont été drastiquement écourtés. Par crainte du ridicule ? On sait pourtant qu’il ne tue plus personne.

GÉRARD CONDÉ

PHOTO © FLORENT MAYOLET PHOTOGRAPHIES

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