Comptes rendus Échos du Festival d’Athènes
Comptes rendus

Échos du Festival d’Athènes

04/08/2020

Odéon d’Hérode Atticus,

26 juillet

Quel bonheur de réentendre des chanteurs accompagnés par un orchestre, sous la lumière des étoiles ! Surtout dans le cadre magique de l’Odéon d’Hérode Atticus, théâtre antique construit en 161, au pied de l’Acropole.

Les circonstances de ce concert, organisé par l’Opéra National de Grèce (Greek National Opera, abrégé en GNO), au sein du Festival d’Athènes, sont certes particulières (port du masque obligatoire jusqu’à sa place, spectateurs espacés sur et entre les gradins, instrumentistes éloignés les uns des autres d’au moins un mètre), mais le plaisir est total, malgré un ténor très inférieur à ses deux partenaires.

Onze ans seulement après des débuts on ne peut plus prometteurs (Radamès dans Aida, à Salerne), Riccardo Massi paraît l’ombre de lui-même. Le timbre a perdu de son émail, la projection est devenue aléatoire, en particulier dans l’aigu, souvent trop bas ou en arrière, et l’homogénéité de l’émission n’est plus qu’un souvenir. Méforme passagère ? Prix à payer pour des rôles d’emblée trop lourds pour cette voix de pur lirico ? L’avenir le dira.

Le ténor italien conserve, heureusement, suffisamment de métier pour ne pas trop déséquilibrer les duos et trios au programme. Dimitri Platanias le surclasse pourtant dans l’ultime face-à-face entre Don Alvaro et Don Carlo, à l’acte IV de La forza del destino  Invano Alvaro… Le minaccie, i fieri accenti »), puis dans le trio conclusif de l’acte I d’Il trovatore (« Tace la notte ! »).

Sonore et mordant, le baryton grec fait également sensation dans les airs de Rigoletto (« Cortigiani, vil razza dannata ») et Carlo Gérard dans Andrea Chénier (« Nemico della patria »). Tout juste peut-on lui reprocher une expression un peu trop uniforme, surtout dans le duo Luna/Leonora à l’acte IV d’Il trovatore, où il affronte, il est vrai, une Krassimira Stoyanova en état de grâce.

À 58 ans, la soprano bulgare n’a rien perdu des atouts qui en ont fait l’une des cantatrices les plus appréciées sur le circuit international : velouté du timbre, science de l’émission, variété et sensibilité du phrasé, sans oublier cette classe indéfinissable qui illumine un divin « Pace, pace, mio Dio ! » de La forza del destino, puis un bouleversant « Ebben ? Ne andro lontana » de La Wally.

En bis, l’inévitable « Libiamo » de La traviata est arraché au tout-venant par le chic irrésistible de Krassimira Stoyanova et par la direction musicale, à la fois élégante et souple, de Pier Giorgio Morandi, fin connaisseur du grand répertoire italien.

De bout en bout, l’orchestre du GNO impressionne par sa qualité d’exécution. Bois, cuivres et percussions se distinguent dans les Ouvertures de La forza del destino et Nabucco. Quant au pupitre de cordes, triomphant de l’espacement entre les chaises, il témoigne d’une cohésion inespérée, notamment dans un somptueux Intermezzo de Cavalleria rusticana.

28 juillet

Même lieu, même orchestre, même chef, un programme en partie similaire : la tentation est grande de comparer les deux concerts organisés par l’Opéra National de Grèce, à deux jours d’intervalle.

On y résistera aisément dans le cas de Cellia Costea, qui n’évolue pas dans la même catégorie que Krassimira Stoyanova. Dotée d’une bonne voix de lirico spinto, puissante et sûre, la soprano roumaine n’échappe pas à la convention dans son incarnation d’Amelia d’Un ballo in maschera (le duo « Teco io sto » avec Riccardo) et Leonora d’Il trovatore (trio final du I et duo du IV avec Luna). Elvira d’Ernani (« Ernani, involami ») souffre de vocalises approximatives et Nedda dans Pagliacci (« Stridono lassù ») réclame de tout autres capacités d’allégement de l’émission.

Le match des ténors, tous deux italiens et parvenus au même stade de carrière, tourne résolument à l’avantage de Giorgio Berrugi. La voix manque un peu de puissance dans un espace aussi vaste, surtout dans des rôles (Riccardo, Manrico, Rodolfo de Luisa Miller, Mario Cavaradossi dans Tosca, Don Alvaro de La forza del destino) aux limites des possibilités de son ténor foncièrement lyrique. Mais le timbre est séduisant, le phrasé nuancé, et l’émotion demeure constamment perceptible dans ce chant excellemment conduit.

Difficile, enfin, d’imaginer barytons plus différents que Dimitri Platanias et Tassis Christoyannis (remplaçant Ambrogio Maestri, initialement annoncé). S’agissant du répertoire italien du XIXe siècle, leurs qualités sont complémentaires : davantage de noirceur et de mordant chez le premier, une élégance et un sens des nuances supérieurs chez le second. Au bilan, l’un et l’autre font jeu égal dans La forza del destino et Il trovatore.

Le monologue de Barnaba dans La Gioconda (« O monumento ! ») aurait sans doute mieux convenu à Dimitri Platanias qu’à Tassis Christoyannis, celui-ci délivrant, en revanche, un « Di Provenza il mar, il suol » (La traviata) exemplaire de beauté et de noblesse.

La Grèce a décidément de la chance de posséder deux artistes de cette envergure, qui confirment la vitalité de l’école de chant nationale côté barytons, illustrée jadis par le grand Kostas Paskalis (1929-2007).

RICHARD MARTET

PHOTO © A. SIMOPOULOS

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