Comptes rendus Trois buffi en délire à Pesaro
Comptes rendus

Trois buffi en délire à Pesaro

02/09/2020

Piazza del Popolo, 18 août

La basse bouffe est une spécialité italienne, un personnage typique du répertoire, du début du XVIIIe siècle au milieu du XIXe. Son arme absolue est le chant syllabique, où la clarté de l’articulation et la rapidité du débit ne doivent pas nuire à la musicalité et à l’expression. Sa tessiture, qui va de la basse chantante au baryton, lui permet de multiplier les emplois, du simple comique au barbon « bête et méchant », et ridicule. Les trois chanteurs réunis pour ce concert appartiennent à cette lignée, mais ils sont de génération et de type vocal différents – et pourtant, quasiment interchangeables et titulaires des mêmes rôles.

Le plus âgé, Alessandro Corbelli (né en 1952), est aussi le plus époustouflant dans sa capacité à faire exister un personnage en quelques traits, comme à toujours maintenir un parfait équilibre entre théâtre et chant. Dans ce programme, sa versatilité lui permet d’incarner, tour à tour, Germano, le valet ivrogne de La scala di seta, Don Magnifico et Dandini dans La Cenerentola, Malatesta et Don Pasquale dans l’opéra éponyme, avec toujours la même évidence et la même inventivité.

Plus jeune, Alfonso Antoniozzi (né en 1964) possède plutôt un timbre et une stature de basse, mais sa voix est assez étendue pour assurer les parties de baryton. Il sera Don Magnifico, face au Dandini de Corbelli, pour l’étourdissant « Un segreto d’importanza », puis Don Geronio, face au Selim de Paolo Bordogna, dans Il Turco in Italia. Il s’offrira, en fin de concert, l’un des rôles les plus fameux de ce répertoire, le Falstaff de Verdi, où il se révèle un diseur impeccable et sait faire passer toute l’ambiguïté du personnage.

Le benjamin enfin, Paolo Bordogna (né en 1972), est un pur produit de l’Accademia Rossiniana « Alberto Zedda ». Sa voix paraît plus compacte, plus sombre aussi que celle de ses aînés. S’il n’a pas cette liberté dans la caractérisation qui fait le charme souriant d’un Corbelli, sa virtuosité n’est pas en reste, son goût de la dérision non plus, et il se régale à incarner Mamma Agata, la mère abusive des Convenienze ed inconvenienze teatrali de Donizetti, en robe du soir pailletée et boa. Surtout, il nous entraîne un moment, avec le monologue de Beaupertuis dans Il cappello di paglia di Firenze de Nino Rota, dans des zones plus ambiguës, où le comique se teinte d’une certaine noirceur.

La complicité entre les chanteurs est évidente dans les duos, comme avec le chef Michele Spotti qui, à la tête de l’orchestre Filarmonica G. Rossini, décidément très sollicité, les soutient d’une main ferme et souple.

Le bis est un clin d’œil au lieu, comme aux circonstances, puisqu’il s’agit du trio d’Il barbiere di Siviglia, celui de Paisiello, où Bartolo est aux prises avec ses deux serviteurs, Lo Svegliato et Il Giovinetto, tous deux malades. L’un bâille, l’autre éternue, et tous trois délirent dans une débauche de mouchoirs en papier et de gel désinfectant, suffisante sinon pour assainir tout le parterre de la Piazza del Popolo, au moins pour conjurer par le rire, l’inquiétude encore palpable dans les mesures drastiques prises pour permettre que cette édition du Festival ait lieu, et lui redonner une teinte vraiment festive.

ALFRED CARON

PHOTO © STUDIO AMATI BACCIARDI

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