Comptes rendus Les plaisirs de La Bohème à Liège
Comptes rendus

Les plaisirs de La Bohème à Liège

25/09/2020

Théâtre Royal, 20 septembre

S’installer dans un fauteuil et retrouver l’émotion d’un rideau qui se lève : ce plaisir devenu rare doit s’apprécier à l’aune des précautions prises pour (ne pas trop) remplir une salle, imposer des masques aux spectateurs et remercier les artistes qui ont accepté une diminution de leur cachet pour tenir compte des difficultés financières de l’institution. À ce titre, l’avertissement « Merci de garder votre masque pendant toute la durée de la représentation » ne répond pas seulement à un souci passager (avant, on évoquait les sonneries de téléphone), mais pourrait bien marquer un changement d’époque : aller à l’opéra n’est plus un plaisir simple.

À sa création, en juin 2016 (voir O. M. n° 120 p. 57 de septembre), nous avions salué l’inventivité de cette production, signée par Stefano Mazzonis di Pralafera, directeur général et artistique de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, et sa pertinence s’impose encore aujourd’hui. À une nuance pandémique près : le café Momus est un foyer de contagion, et la toux de l’héroïne est plus angoissante que d’ordinaire. Il faut chasser ces arrière-pensées et se concentrer sur la musique.

Avec Mimi, Angela Gheorghiu retrouve un rôle qui lui est cher et qu’elle connaît intimement. Si le jeu manque parfois de naturel, l’incarnation reste profondément émouvante. La beauté du timbre, la qualité des aigus, notamment pianissimo, une diction parfaite dictent au chant sa profondeur, sa vérité, pour restituer les différentes facettes de l’héroïne, ici une raucité infime, là une douceur mutine, de son apparente légèreté à sa tragédie intime (elle chante, oui, elle chante la toux et c’est admirable de vérité).

Avec Stefan Pop, Angela Gheorghiu trouve un Rodolfo à sa hauteur, qui donne au personnage un caractère solaire, comme l’optimisme du désespoir. La qualité du chant ne fait jamais défaut, dans une manière de vaillance délicate qui révèle les failles de ce Rodolfo, lors même qu’il est encore dans la découverte amoureuse, jusqu’au déchirant cri final.

Les autres rôles sont fort bien tenus : Marcello, solidement campé par Ionut Pascu, révèle des emportements inattendus, allant parfois jusqu’à la brutalité. Surtout à l’égard de Musetta, parfaitement incarnée par Maria Rey-Joly, à la ligne de chant impeccable, qui prend grand plaisir à se pavaner en rousse flamboyante, mais se montre aussi dans la vérité nue de celle à qui la vie n’a pas offert grand-chose. On saluera Ugo Guagliardo, Colline de bonne tenue, et Patrick Delcour, impeccable Benoît (puis Alcindoro), qui se laisse rouler dans la farine avec conviction.

Dans la fosse, l’excellent Frédéric Chaslin obtient de l’Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie une belle transparence des pupitres, où les bois se distinguent avec brio. À Liège, la rentrée lyrique a mis fin avec bonheur à des mois de silence.

JEAN-MARC PROUST

PHOTO © OPÉRA ROYAL DE WALLONIE-LIÈGE

Pour aller plus loin dans la lecture

Comptes rendus Un très grand Siegfried à Madrid

Un très grand Siegfried à Madrid

Comptes rendus Paris en fête

Paris en fête

Comptes rendus Un adieu triomphal

Un adieu triomphal