Comptes rendus L’attente de Solveig à Strasbourg
Comptes rendus

L’attente de Solveig à Strasbourg

27/09/2020

Opéra, 23 septembre

Insolite idée qu’a eue Calixto Bieito de concevoir, au printemps 2019, pour le « Bergen International Festival » (en coproduction, notamment, avec l’Opéra National du Rhin), un spectacle autour de Solveig, le personnage du Peer Gynt d’Ibsen, en utilisant la musique de scène écrite par Grieg ! Elle lui est venue après avoir mis en scène la pièce du dramaturge norvégien et, quelques années plus tard, l’opéra Hanjo de Toshio Hosokawa, sur un livret de Mishima.

Calixto Bieito explique : « J’étais totalement fasciné par deux personnages féminins, Solveig et Hanako, une geisha, toutes deux abandonnées par un homme et dans une attente éternelle. J’étais intrigué par (…) leur désespoir, leur amour, leur ténacité, et par la profonde persévérance de ces deux femmes. »

Solveig, dans Peer Gynt, n’est pas la figure principale, mais celle que le personnage éponyme abandonne et qui passe sa vie à l’attendre, alors que lui arpente le monde. C’est donc du point de vue inverse, de celle qui semble subir l’action plus qu’elle ne la vit, que se place le metteur en scène espagnol. Mais il n’a pas voulu s’en tenir au personnage, tel qu’il apparaît dans la pièce ; il a souhaité lui donner une dimension plus contemporaine.

Aussi s’est-il tourné vers l’écrivain norvégien Karl Ove Knausgard, dont le cycle Mon combat a été salué comme un chef-d’œuvre dans le monde entier, pour lui demander d’écrire un livret, en lui donnant toute liberté pour le faire. Celui-ci a pris la forme d’une nouvelle, Les Oiseaux du ciel, que Calixto Bieito a utilisée à sa guise et qu’il a associée au texte déjà existant dans la partition (comme la célèbre « Chanson de Solveig »).

Dans cette nouvelle, il n’y a plus une seule femme, mais trois : une centrale, que l’on peut associer au personnage d’Ibsen, sa mère et sa fille. La première, qui travaille dans le secteur de la santé, attend son mari, qui est parti, tandis que sa mère, malade, va bientôt mourir, et que sa fille, au contraire, s’apprête à donner la vie (le spectacle s’achève d’ailleurs sur des images très réalistes de l’accouchement).

Il s’agit donc, dans les trois cas, d’une forme différente de l’attente. Sur scène, toutefois, il n’y a qu’une interprète, qui est toutes ces femmes à la fois. Elle évolue dans une sorte de cube blanc, sur les parois duquel sont projetées des vidéos (d’autres images apparaissent, sur des écrans situés de part et d’autre, et c’est souvent l’interprète elle-même qui se filme, à l’aide d’une petite caméra).

Il n’y a pas d’action à proprement parler, juste une succession de scènes parlant du quotidien et du rapport avec la nature. C’est souvent très beau, parfois à la limite du kitsch (les effets spéciaux et les images d’animaux en gros plan !), et l’on pense au panthéisme sublime infusant les films de Terrence Malick.

L’œuvre est donc composée d’une partie de la musique de scène écrite par Grieg (essentiellement ce qui est dévolu à Solveig), mais aussi d’extraits des Quatre Psaumes pour baryton et chœur mixte a cappella du même, soulignant la dimension spirituelle de la pièce. L’ensemble est entrecoupé de textes parlés, formant un tout poétique, court (une heure dix), comme une élégie dont on ne voit pas toujours l’absolue nécessité dramaturgique, mais ne manquant pas de profondeur pour autant.

Mari Eriksmoen est en scène pendant toute la durée du spectacle. Vêtue d’une petite robe blanche, toute simple, sans artifice, la soprano est aussi convaincante dans les parties parlées (en norvégien) que chantées. Très expressive, avec un timbre lumineux et pur, elle aborde ces pages tellement connues avec une grâce et une douceur magnifiques.

Le Chœur de l’Opéra National du Rhin, qui arrive masqué (crise sanitaire oblige !) et duquel est issu le baryton Laurent Koehler, ponctue, avec une belle gravité, ce « concerto pour une femme seule », en dépit de quelques problèmes de justesse.

Quant à Eivind Gullberg Jensen, il dirige l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, placé sur le plateau et non dans la fosse, avec fermeté et un sens de la ligne très romantique.

PATRICK SCEMAMA

© THOR BRØDRESKIFT/FIB

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