Comptes rendus Merveilleux récital haendélien
Comptes rendus

Merveilleux récital haendélien

21/10/2020

D’emblée, l’émerveillement ! À peine les premières notes de « Prophetic raptures swell my breast » (Joseph and his Brethren) ont-elles retenti que Sophie Junker arrache l’auditeur à son quotidien – moins morne, en ces temps perturbés, que péniblement angoissant –, pour le projeter dans un salutaire état second. L’élan irrésistible de la vocalise, l’intrépide limpidité du suraigu, la fantaisie ébouriffante de l’ornementation suscitent une joie, mêlée de gratitude et d’émotion, qui nous a tiré des larmes. Coup d’essai, et coup de maître ? Oui, et bien plus encore !

Comme tant d’autres avant elle – qui, pour la plupart, ne méritent pas d’être réécoutées –, la soprano belge aurait pu picorer à sa guise dans l’ensemble du vaste catalogue -haendélien, pour composer le programme d’un récital « carte de visite », en forme d’anthologie à la cohérence douteuse. Elle a préféré, savamment conseillée sans doute, emprunter une autre voie, non moins piégeuse pour qui n’aurait qu’une conscience imparfaite de ses propres moyens, en mettant sa voix dans celle d’Élisabeth Duparc, plus connue sous le surnom de « La Francesina », prima donna de Haendel, de 1738 (Faramondo) à 1746 (Belshazzar), avant de disparaître des radars jusqu’à sa mort, en 1778.

Cette « petite Française » fut-elle d’abord danseuse ? C’est en Italie que débute, en tout cas, sa carrière de cantatrice, avant de la mener à Londres, où elle se produit au sein de l’Opera of the Nobility, compagnie rivale de celle de Haendel, qu’une troupe prestigieuse ne préservera pas de la faillite. Presque une prise de guerre pour le compositeur et imprésario, alors obligé de remplacer Anna Maria Strada del Po, dont l’astre avait cessé de briller sur le Covent Garden, à l’issue d’une ultime représentation d’Alcina. Et il fallait qu’Élisabeth Duparc ait du talent. Non seulement pour succéder à pareille muse, qui avait elle-même pris le relais de Francesca Cuzzoni. Mais aussi pour accompagner la transition, opérée par Haendel dès la fin des années 1730, entre l’opéra italien et l’oratorio, sacré et profane, en langue anglaise…

Soprano plus léger que ses devancières, « La Francesina » brillait grâce à une agilité dont témoigne l’écriture hautement acrobatique du rôle-titre de Semele. Mais elle n’était pas, loin s’en faut, qu’un délicieux rossignol. Sophie Junker en trace un portrait vocal dont les reliefs lui permettent de déployer, sans aucune trace d’afféterie, une envoûtante palette, tant technique qu’expressive. Capté de très près – un peu trop, même, dans cette gravure de studio, réalisée en juin 2019 –, l’instrument tintinnabule ainsi avec une grâce infinie dans les coloratures narcissiques de «Myself I shall adore », mais sait aussi se teinter d’ombres, ou se mouiller de larmes, dans les airs d’Hercules et de Saul.

D’une plénitude sonore inespérée à la lecture d’un effectif de poche, Le Concert de l’Hostel Dieu trouve, sous la direction de Franck-Emmanuel Comte, des couleurs d’une parfaite éloquence, en osmose avec un art du chant haendélien qui, par son évidence, tutoie déjà le firmament où trônent Sandrine Piau et Karina Gauvin.

MEHDI MAHDAVI

1 CD Aparté AP 233

DIAMANT D’OPÉRA MAGAZINE

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