Comptes rendus Karine Deshayes en master class à Paris
Comptes rendus

Karine Deshayes en master class à Paris

06/11/2020

Salle Favart, 25 octobre

La 14e édition de « Tous à l’Opéra ! », initialement prévue en mai dernier, a finalement eu lieu le week-end des 24 et 25 octobre.

À Paris, la marraine de la manifestation, Karine Deshayes, a ainsi donné deux master classes : l’une à l’Amphithéâtre Bastille, le samedi 24, de 16 h à 18 h ; l’autre à l’Opéra-Comique, le lendemain, aux mêmes heures. Après un bref discours de Patrick Thil, président de la Réunion des Opéras de France, qui a rappelé l’importance de la visibilité de l’opéra en ces périodes troublées, la mezzo française a fait travailler, dans une ambiance détendue, quatre élèves du CNSMDP.

Avec bienveillance mais fermeté, Karine Deshayes s’est appliquée à faire trouver à chacun un geste vocal plus naturel, avec une posture physique juste. Que l’on n’attende pas d’elle de longs discours sur la psychologie du personnage, ni une recherche infinie de couleurs sur tel mot ! Mais, pragmatique, elle pointe inlassablement un manque de netteté dans le dessin de la phrase, un legato inabouti, un contraste d’ambiance ou de dynamique pas assez marqué – et, plus généralement, une attention trop intermittente au texte.

Karine Deshayes insiste sur l’importance du visage et du regard : « Il faut aussi que ton corps exprime ta pensée. » Sur un point d’orgue, elle relève la tendance de l’élève à l’écourter pour se précipiter sur la suite : « Le silence fait partie de la musique… N’aie pas peur de lui laisser toute sa place ! Prends le temps de respirer, pour ton propre confort, mais aussi pour celui de l’auditeur. »

Sur un grand intervalle, il faut essayer de le gommer le plus possible, en cherchant à ne pas changer de place vocale : « En particulier, sur une attaque aiguë, il est important de respirer dans la voyelle que l’on va faire, en lui donnant toute la place nécessaire avant. » L’élève doit aussi rechercher l’homogénéité dans les vocalises : « Une fois que tu as installé ta voyelle, rien ne doit bouger, tu restes dans le même moule. »

Toute une philosophie de l’efficacité maximale de l’émission et de la conscience aiguë des registres, évidemment plus aisée à formuler qu’à réaliser, mais que Karine Deshayes va immédiatement mettre en pratique elle-même. Et l’on est frappé par la technique d’acier dont elle fait preuve, quand, après avoir pointé tel passage inabouti, elle ôte soudain son masque pour reprendre, sur-le-champ, la même phrase, avec une déconcertante facilité : éclatante démonstration, dont la différence saute immédiatement aux oreilles !

En Cendrillon de Massenet, Lisa Chaïb-Auriol fait valoir une jolie voix, peu personnelle encore, et assez timide dans la caractérisation. En plus de lui faire chercher moins d’effort dans l’émission, Karine Deshayes l’invite à se montrer plus perméable à toutes les émotions qui traversent l’héroïne revenant du bal, et aussi à davantage faire voir tous les paysages parcourus dans sa fuite.

Autre soprano, Iryna Kyshliaruk présente l’air d’entrée de Norina (Don Pasquale) : la voix est solide mais banale, et peu virtuose. Surtout, elle manque complètement de charme : tout le travail consiste ici à trouver plus de facilité dans l’émission, et à jouer davantage sur les mots, expressifs déjà par leur phonation, notamment les doubles consonnes.

Avec Marine Chagnon, le « Non so più » de Cherubino (Le nozze di Figaro) est déjà expressif, en plus d’y faire entendre un beau timbre chaud et sombre. Mais c’est dans l’air de Concepcion (L’Heure espagnole) que la jeune mezzo peut montrer tout son tempérament. Karine Deshayes la pousse alors à une émission moins en force, notamment dans l’aigu, ainsi qu’à une plus grande précision rythmique sur certains passages : « C’est la plus extrême précision qui permet la liberté. »

Enfin, le contre-ténor Paul Figuier présente l’air de concert « Ombra felice » KV 255 de Mozart, destiné à un castrat alto : la virtuosité n’y est nullement sollicitée, mais la tessiture est très grave, et le chanteur s’en tire par un poitrinage prudent mais efficace (« Reste ouvert dans le grave ! »), faisant preuve, par ailleurs, d’une réelle musicalité. L’attitude physique, en revanche, est encore assez empruntée, sur laquelle Karine Deshayes le fait travailler, comme sur la juste conscience des points d’orgue, avant de reprendre le thème de ce rondo.

Saluons, pour finir, le parfait soutien apporté par le pianiste Joseph Birnbaum, tout au long de cette session.

THIERRY GUYENNE

PHOTO © STEFAN BRION

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