Comptes rendus Palais enchanteur à Dijon
Comptes rendus

Palais enchanteur à Dijon

08/12/2020

Auditorium, 2 décembre

Créé en 1642, Il palazzo incantato (Le Palais enchanté) de Luigi Rossi marque un moment d’apogée de l’opéra baroque romain, et même de l’opéra baroque tout court. Entreprise considérable, sous le patronage prestigieux des Barberini, avec tout le faste et les moyens de cette célèbre famille : plus de vingt personnages, une quarantaine d’instrumentistes, et toutes les ressources de la machinerie, pour sept heures de représentation… ce qui suffit à expliquer les rarissimes reprises !

Et avec la plume non moins fameuse du futur pape Clément IX, Giulio Rospigliosi, pour le plus ambitieux, sans doute, de ses treize livrets : abandonnant la fable et la mythologie, et tournant le dos aussi à l’amoralité et au comique de l’opéra vénitien, pour s’attaquer avec audace à l’Arioste et son Orlando furioso, monument respecté (et connu de tous), promis à un bel avenir, mais que personne n’avait encore osé aborder.

Pour un texte d’une très haute tenue littéraire, et non moins hautement moralisant. « Loyauté et Valeur », tel est le thème choisi par la Magie  qui, dans le Prologue, débat du sujet à traiter avec la Peinture, la Poésie et la Musique : ce sera ensuite un leitmotiv dans la bouche de plusieurs personnages, jusqu’au chœur final (livret complet, avec traduction, dans le précieux programme de salle).

Ici commencent les difficultés potentielles. Le texte, en effet, ne se préoccupe nullement d’une dramaturgie cohérente, sans souci non plus de la longueur, parfois démesurée, des tirades, ni de la succession logique des scènes : on reconnaît là le compositeur de cantates, qui ne reviendra qu’une fois, par la suite, à l’opéra, pour l’Orfeo parisien de 1647.

Si les poursuites et querelles incessantes de Bradamante et de Ruggiero constituent une ossature bien reconnaissable, de même que le partage d’Angelica entre ses différents soupirants, les personnages et actions secondaires ne cessent de s’ajouter au fil des trois actes, jusqu’à une singulière confusion.

Autre point d’appui, pourtant : le fameux « palais enchanté », sous la direction du mage Atlante, qui se complaît à égarer dans son labyrinthe. C’est lui que Fabrice Murgia a choisi comme base pour cette nouvelle production de l’Opéra de Dijon, multipliant, avec une virtuosité fascinante, les lieux et les actions : d’abord deux niveaux sur le plateau, avec, en bas, trois pièces contenant chacune des décors pivotants, et, au-dessus, une longue galerie avec portes, où évolueront principalement Atlante et ses créatures malfaisantes ; puis la dégradation progressive de cet univers magique jusqu’à sa disparition complète au III, sur un plateau presque vide.

Avec aussi le choix résolu d’une modernisation décapante, sans crainte de hiatus parfois violents avec un texte d’une préciosité raffinée. L’usage intensif de la vidéo, avec deux caméras en scène, compense ce qu’on a déjà beaucoup vu du procédé par un montage sophistiqué, qui permet de combiner, à l’étage, les images filmées en bas, avec un accent particulier sur les détails d’une direction d’acteurs très poussée. Ce n’est pourtant pas sans un certain essoufflement au fil des actes, la longue intervention de deux danseurs au III, entre autres, paraissant nettement moins en situation.

Aucune réserve, en revanche, pour la partie musicale, qui déroule somptueusement son tapis. L’acoustique très réverbérée de l’Auditorium fonctionne ici à merveille, au service d’un plateau vocal de premier ordre, où tous seraient à citer. L’on distinguera, tout de même, l’éblouissante soprano américaine Deanna Breiwick en Bradamante, émouvante actrice, qui fait oublier le costume orange vif plutôt ingrat d’une prisonnière de quelque Sing Sing, les Orlando et Ruggiero également ardents et vibrants du baryton français Victor Sicard et du ténor suisse Fabio Trümpy, l’Atlante percutant du ténor britannique Mark Milhofer, et encore la Marfisa puissante de la soprano argentine Mariana Flores.

Manque pourtant Angelica, le dernier rôle majeur, la soprano italienne Arianna Vendittelli étant tombée malade le matin même de cette répétition générale filmée (pour diffusion sur le site de l’Opéra de Dijon, à partir du 11 décembre), au terme d’un parcours épique, commencé à l’annonce même du reconfinement, et poursuivi en dépit de l’annulation de toutes les représentations publiques. Leonardo Garcia Alarcon ajoute donc à sa direction énergique et passionnée, l’exploit de chanter lui-même toute la partie – parfaitement audible sans micro !

Son ensemble Cappella Mediterranea perpétue l’enchantement, comme son impeccable Chœur de Chambre de Namur, que les circonstances permettent de faire venir périodiquement à distance dans la salle.

Pour un spectacle complet, il faudra attendre les représentations de Nancy, Caen et Versailles, théâtres coproducteurs. Mais la partie audio constitue, d’ores et déjà, l’événement.

FRANÇOIS LEHEL

PHOTO © OPÉRA DE DIJON/GILLES ABEGG

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