Comptes rendus Les étoiles brillent sur Milan
Comptes rendus

Les étoiles brillent sur Milan

14/12/2020

Teatro alla Scala/Arte Concert, 7 décembre

Ils sont venus, ils sont tous là, elle va revivre, la Scala… En lieu et place de la production d’opéra qui ouvre traditionnellement, le 7 décembre, la saison du théâtre milanais, Dominique Meyer a concocté, en un temps record, un gala de près de trois heures, sous la baguette de Riccardo Chailly, auquel tout le gratin lyrique a répondu présent, à l’exception d’Anna Netrebko, retenue en Russie par un engagement, et Jonas Kaufmann, annoncé, puis porté pâle quelques jours avant l’événement.

Une façon, pour le nouveau directeur, privé d’épreuve du feu, de démontrer non seulement sa capacité de persuasion, et la valeur d’un carnet d’adresses cultivé pendant ses dix années à la tête du Staatsoper de Vienne, mais aussi le pouvoir d’attraction intact d’une institution sans équivalent.

Défilé de stars dans une succession d’airs tous plus rabâchés les uns que les autres – amateurs de raretés, passez votre chemin ! –, l’exercice aurait pu s’avérer fastidieux, malgré le prestige des interprètes. La place accordée à la danse, mais aussi aux acteurs, qui soit récitent, soit déclament, non sans une emphase surannée pour certains, des textes ou tirades signés Hugo, Racine, Verdi, Gramsci et même Sting, permet de contourner cet écueil. D’autant que le spectacle imaginé par Davide Livermore se veut total.

Rien de bien neuf, pourtant, puisque le metteur en scène recycle, la plupart du temps, des idées et des images, voire des décors, de ses réalisations précédentes. Si le savoir-faire est indéniable, l’esthétique de l’ensemble, où les chanteurs évoluent en fracs, et les chanteuses en robes de soirée plus ou moins seyantes, reste affaire de goût. Mais le plus important, dans une soirée de ce type, n’est-il pas que les nostalgiques de l’époque, finalement pas si lointaine, où la mise en scène se contentait d’être un écrin pour les voix, y trouvent leur compte ?

L’apparat déployé renvoie l’art lyrique à son passé glorieux, plutôt que de le projeter dans un avenir que les caprices d’un virus semblent vouloir rendre chaque jour plus incertain. Mais à quoi bon bouder son plaisir face à une telle réunion de talents, surtout quand l’un des meilleurs orchestres de fosse du monde est dirigé par Riccardo Chailly, certainement l’un des plus grands chefs vivants ?

Le Rigoletto de Luca Salsi est certes un peu brutal, et Vittorio Grigolo enlevait « La donna è mobile » avec davantage de panache par le passé. Mais aucun Filippo II ne peut rivaliser avec le legato d’Ildar Abdrazakov, et personne n’arrive à la cheville de Ludovic Tézier dans Posa. Avec un « O don fatale » d’une plénitude rare sur tout l’ambitus, Elina Garanca prouve qu’elle a pris au bon moment son tournant verdien.

Lisette Oropesa est merveilleuse de fluidité, en Lucia di Lammermoor, et Rosa Feola ajoute, en Norina, l’esprit aux délices d’un soprano à croquer. Le Nemorino de Juan Diego Florez, sur le charme duquel les années ne semblent avoir aucune prise, reste insurpassable, tandis qu’Aleksandra Kurzak délivre un « Signore, ascolta ! » aux aigus cousus de fils d’or.

Marianne Crebassa puise dans ses graves déjà capiteux les promesses d’une future Carmen, quand Benjamin Bernheim porte au plus haut, par l’éclat intense de son Werther, les couleurs du chant français. Piotr Beczala est forcément moins idiomatique, dont le Don José n’évite pas un certain débraillé – « Nessun dorma ! » (à l’origine destiné à Jonas Kaufmann) le montrera vaillant, mais guère plus latin. Nul, en revanche, ne contestera l’adéquation de George Petean avec Renato, et encore moins celle de Carlos Alvarez avec Iago.

Cio-Cio-San/Butterfly impressionnante de santé, Marina Rebeka est aussi plus lisse que la Maddalena di Coigny au registre supérieur écorché, mais d’une émotion enveloppante, de Sonya Yoncheva. Et Roberto Alagna aurait paru moins grisonnant, peut-être, dans « E lucevan le stelle », si Placido Domingo, crinière blanche, souffle raccourci et vibrato élargi, n’avait déployé, en Carlo Gérard, cette couleur mordorée, reconnaissable entre mille, que des Andrea Chénier de vingt, trente ou quarante ans son cadet, ne peuvent que lui envier.

Ou quand un théâtre mythique continue, envers et contre tout, d’écrire sa légende !

MEHDI MAHDAVI

PHOTO © TEATRO ALLA SCALA/BRESCIA/AMISANO

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