Comptes rendus La Dame blanche réapparaît à Rennes
Comptes rendus

La Dame blanche réapparaît à Rennes

05/01/2021

Opéra, 11 décembre

Rennes devait proposer trois représentations de La Dame blanche, « opéra-comique » régulièrement représenté à… l’Opéra-Comique jusqu’en 1926 (mille six cent soixante-neuf représentations depuis la création de 1825), puis en 1997 et 2020. Cette nouvelle production du collectif La Co[opéra]tive aurait dû charmer aussi Besançon, Compiègne, Dunkerque, Quimper et Tourcoing.

Circonstances et décisions diverses n’autorisant pas actuellement cette tournée, une captation, en l’absence de public, permet de suivre le spectacle en ligne sur les comptes Facebook des théâtres partenaires, en attendant une diffusion ultérieure par France Télévisions. Tout n’est pas perdu et, malgré la chape de plomb ambiante, ce qui est sauvé promet beaucoup, tant la production et la distribution recèlent autant de trésors que le fantomatique château des comtes d’Avenel.

Ce spectacle montre, en effet, le chemin : reprendre une œuvre largement ignorée du public et des institutions, respecter son esprit, confier l’exécution à des interprètes de talent. La mise en scène de Louise Vignaud témoigne d’un souci : restituer le chef-d’œuvre musical de François-Adrien Boieldieu, en rendant accessible à notre temps son intrigue, empruntée par Eugène Scribe à deux romans de Walter Scott. Au prix de coupures dans le texte parlé – nul ne s’en plaindra –, mais aussi de quelques modifications jurant parfois avec l’élégance d’une partition aux confins de Rossini, d’une part, et du romantisme allemand, de l’autre : « Qu’est-ce que tu traficotes ? », « J’en ai ras la patate ! » (sic).

Le décor suggère, au I, un paysage rêvé. Des frondaisons se découpent au premier plan, des escarpements et un ciel changeant laissent deviner la ferme de Dikson et le château. Tout le gothique des actes II et III devient, au gré de Louise Vignaud, métallique et artificiel. Heureusement, la salle des armures en laisse deviner quelques-unes. Métalliques, comme il se doit.

L’exécution musicale est de première grandeur. L’orchestre Les Siècles, confié à la direction experte de Nicolas Simon, le chœur Le Cortège d’Orphée, très bien préparé par Anthony Lo Papa, annoncent l’intention : vingt musiciens, des instruments français « berlioziens », voilà qui ancre l’œuvre dans le premier tiers du XIXe siècle.

L’héritage mozartien, la francisation du bel canto rossinien s’en trouvent bien. L’auteur d’Il viaggio a Reims (strictement contemporain) ne s’y est pas trompé. Les voix, soutenues sans être couvertes, la bonhomie et la tendresse sont là. Une porte s’ouvre, en même temps, vers le romantisme : Weber, et même Wagner, ont loué un fantastique et un lyrisme frémissants. Avec Les Siècles, les lignes mélodiques, l’entrain rythmique ravissent. Les scènes qui côtoient le drame (l’orage, la vente à la bougie) sont parfaitement enlevées.

En tête de distribution, le brillant Georges campé par Sahy Ratia, à l’aigu et au suraigu infaillibles, repose l’auditeur de ceux qui prétendent au rôle en hurlant ledit suraigu. Le ténor malgache allège quand il le faut, soutient un legato élégant, construit un personnage complexe.

L’air d’entrée, avec Sahy Ratia, comporte déjà une sorte de désenchantement (« Ah ! quel plaisir d’être soldat » – certes – « Mais j’avais une amoureuse : où donc est-elle ? »). La cavatine « Viens, gentille dame », véritable duo avec la harpe, présente un modèle de beau chant au service d’une caractérisation. Le personnage, ses doutes, sa quête d’identité (« D’où peut naître cette folie ? Et d’où vient ce que je ressens ? ») signent une incarnation.

Le rôle d’Anna offre à Caroline Jestaedt une palette de jeu variée, qui conduit à la grande scène de l’acte III (« Comme aux beaux jours de mon jeune âge »). En Jenny, Sandrine Buendia ménage des moments de coquetterie et d’aplomb fermement affirmés. Majdouline Zerari prête à la vieille servante Marguerite son mezzo capable de Geneviève, mais elle sait aussi évoquer Marcellina et Berta.

Fabien Hyon campe un Dikson sonore et sympathique. Yannis François danse autant qu’il chante un Gaveston inquiétant dans son avidité de revanche ; comme Monostatos, le personnage peut apitoyer. Ronan Airault, enfin, joue le jeu de la tradition efficace en Mac-Irton, le juge de paix.

Un enchantement nécessaire.

PATRICE HENRIOT

PHOTO © RÉMI BLASQUEZ

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