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Diversité (s) – éditorial du numéro de mars

22/02/2021

Après dix éditos successifs consacrés à la crise sanitaire, j’ai envie de vous parler d’autre chose. D’autant que la situation, en Europe continentale, s’apparente désormais au statu quo : théâtres pour la plupart en activité, mais, sauf exceptions, interdits au public ; montée en puissance du streaming, pour continuer à entretenir le lien avec les spectateurs. Et tout semble indiquer que le statu quo est appelé à se poursuivre dans les prochaines semaines, la ministre de la Culture préférant désormais réserver ses déclarations optimistes aux festivals de l’été. Espérons, quand même, que nous pourrons revenir dans les salles avant le 30 juin !

En plus de fermer les théâtres, le Covid-19 tue – et c’est nettement plus grave. Le 15 février, il a ainsi emporté Andréa Guiot, idéal du grand soprano lyrique français, inoubliable en Mireille et Micaëla, professeure de chant adorée de ses élèves, et femme extraordinairement attachante, toute de simplicité, de générosité et d’écoute. Les délais de bouclage de ce numéro ne me permettent pas de lui rendre l’hommage qu’elle mérite. Ce sera chose faite dans le prochain.

La presse s’est fait écho du rapport de Constance Rivière et Pap Ndiaye, intitulé « Diversité et inclusion à l’Opéra National de Paris », commandé par Alexander Neef, lors de son arrivée à la tête de l’institution. Nonobstant ses a priori, ses imprécisions et ses non-dits, son principal mérite est de coucher sur le papier un certain nombre de constats. Le plus intéressant, néanmoins, reste la manière dont la direction de l’ONP traduira (ou pas) en actes ses préconisations.

Plusieurs d’entre elles ont, d’ores et déjà, été retenues, à commencer par l’une des plus polémiques : « Proscrire sur scène le blackface, le yellowface et le brownface. » Mais n’est-ce pas aller un peu vite en besogne ? Et, surtout, fermer hermétiquement une porte qu’il conviendrait de laisser entrouverte, en privilégiant, chaque fois que c’est nécessaire, une réflexion concertée avec les chanteurs, metteurs en scène, décorateurs et costumiers concernés ?

Car le fait que l’Otello verdien ait la peau sombre (le texte de Boito utilise l’adjectif « atro », de style littéraire, pour parler de son visage, puis de son poing) est bien l’un des ressorts de l’intrigue, au même titre que son âge (« Peut-être parce que je descends la pente des ans », souligne-t-il lui-même, à l’acte II). Otello n’en devient que plus facilement la proie des machinations d’un Iago explicitement raciste, comme le montre son dialogue avec Roderigo, à I’acte I : « La belle Desdémone, que dans le secret de ton cœur tu adores, prendra vite en grippe les ténébreux baisers de ce sauvage lippu. »

Faut-il vraiment écarter ainsi l’une des données de base du livret ? Faut-il engager systématiquement un ténor à la peau sombre, pour éviter toute difficulté, solution que le rapport juge, à juste titre, « problématique » ? Ne vaudrait-il pas mieux mener un travail approfondi de contextualisation, en développant, le plus largement possible, une autre préconisation retenue par la direction de l’ONP : « Apporter systématiquement des clefs de compréhension au public (programmes, textes, conférences) » ?

Par pure coïncidence, ce rapport a été présenté à la presse, dix jours avant l’unique représentation de la nouvelle production d’Aida, à l’Opéra Bastille, le 18 février, filmée par Arte, dont vous trouverez le compte rendu dans notre prochain numéro. Comme Otello, qui le suit dans l’itinéraire créatif de Verdi, l’ouvrage est inévitablement prétexte à une réflexion sur la couleur de peau. À une remarque près : sauf erreur de ma part, le livret ne fait pas une seule allusion à celle-ci, contrairement au statut d’esclave d’Aida, moteur essentiel de l’intrigue.

C’est la tradition, s’appuyant à la fois sur l’origine « éthiopienne » de l’héroïne et sur le fait qu’une esclave, au XIXe siècle, était automatiquement noire, qui a imposé le blackface pendant des décennies. Au risque du ridicule, quand le cirage n’était pas bien appliqué ! À la Bastille, aucun maquillage pour Aida et Amonasro, et même un Roi afro-américain. La production de Lotte de Beer, qui m’a énormément irrité par ailleurs, interpelle le spectateur sur ce plan, comme le choix d’habiller, de pied en cap, Sondra Radvanovsky et Ludovic Tézier en noir.

Confirmation que les problématiques liées à la « diversité », sous toutes ses formes (origine, sexe, couleur de peau…), sont devenues incontournables dans notre société.

RICHARD MARTET

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