Comptes rendus Rhapsodie manquée pour Varduhi Abrahamyan
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Rhapsodie manquée pour Varduhi Abrahamyan

24/04/2021

Ayant elle-même rendu hommage à Maria Malibran (Maria, 2006), il était logique que Cecilia Bartoli, après avoir demandé à Javier Camarena d’évoquer la figure de Manuel Garcia (Contrabandista, 2018), consacre à Pauline Viardot le deuxième volume de la collection « Mentored by Bartoli », qu’elle dirige chez Decca. Surtout en cette année 2021, où l’on commémore le bicentenaire de la naissance de cette femme d’exception, sœur cadette de la première et dernier enfant du second.

Le choix de Varduhi Abrahamyan est-il, pour autant, le bon ? On connaît les qualités de la mezzo-soprano franco-arménienne : timbre chaud et séducteur (qui en fait une belle Carmen), virtuosité appréciable (qui lui permet d’être crédible dans les contraltos en travesti de Rossini). Mais elles ne lui suffisent pas, au disque, du moins (l’enregistrement a été réalisé en studio, en septembre 2019), pour se hisser à la hauteur de l’enjeu.

Le problème est, d’abord, d’ordre technique, avec de petits écarts de justesse, aussi bien dans les roulades des airs d’Arsace (Semiramide) et Malcolm (La donna del lago), que dans le legato de « Ô ma lyre immortelle » (Sapho de Gounod, opéra créé par Pauline Viardot) ou la vertigineuse cadence finale de « Amour, viens rendre à mon âme » (Orphée et Eurydice de Gluck, revu par Berlioz, en 1859, à l’intention de la diva). Dans le feu du direct, ils passeraient probablement inaperçus ; ici, ils deviennent vite perturbants.

Varduhi Abrahamyan, ensuite, n’a pas le rayonnement d’une prima donna, cette déesse de l’art lyrique, dans le culte de laquelle artistes et publics du monde entier communient – ce qu’était Pauline Viardot, comme sa sœur et son père, d’ailleurs. Il suffit d’écouter son duo de La donna del lago (« Vivere io non potro »), avec Cecilia Bartoli en Elena, pour prendre la mesure de ce qui lui manque en termes d’aura et de « chic » par rapport à sa partenaire.

Ce zeste de trivialité dans le geste vocal est aussi ce qui nous gêne dans des personnages comme Orphée et Sapho, qui appellent expressément noblesse du ton et sens du sublime. Dalila (« Mon cœur s’ouvre à ta voix ») et Fidès du Prophète (« Donnez, donnez »), deux héroïnes conçues pour Pauline Viardot par Saint-Saëns et Meyerbeer, s’en accommodent mieux, sans, là encore, impressionner durablement l’auditeur.

Le plus insolite reste la Rhapsodie pour alto de Brahms, chantée de manière très extérieure, sans rien de la bouleversante grandeur et du mystère que l’on attend du dialogue entre la voix soliste et le chœur d’hommes (en l’occurrence excellent). Il est vrai que l’orchestre (Les Musiciens du Prince-Monaco, en lui-même irréprochable) sonne bizarrement dans ce répertoire, et que Gianluca Capuano, mollasson dans Rossini, semble complètement perdu dans le grand romantisme allemand.

Bilan mitigé, donc, pour un récital mal dirigé et mal conçu (tant qu’à engager Varduhi Abrahamyan, il y avait largement de quoi la mettre davantage en valeur parmi tous les airs créés ou chantés par Pauline Viardot). La mezzo mérite une deuxième chance au disque, en visant sans doute moins haut. Pourquoi pas dans un programme de musique arménienne, mêlant opéra et mélodie ?

Offerte tel un bis, sans rapport avec le reste de l’album, Krunk, la chanson populaire réécrite et harmonisée par Soghomon Gevorgi Soghomonian, dit Komitas (1869-1935), est diablement séduisante !

1 CD Decca 485 0862

RICHARD MARTET

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