Comptes rendus Parsifal d’exception à Vienne
Comptes rendus

Parsifal d’exception à Vienne

28/04/2021

Staatsoper/Arte Concert, 18 avril

Affecté autant que quiconque par les effets censément pervers de cette interminable pandémie, le critique a-t-il d’autre choix que de reconsidérer son office ? À quoi bon s’évertuer à décrire – en s’attachant à des détails qui, souvent, n’ont d’importance que pour celui-là même qui s’imagine être le seul à pouvoir les déceler –, ou tenter de raconter un spectacle accessible à tous, parfois pendant plusieurs mois, à travers l’écran devenu, bien malgré nous, la seule et unique source à laquelle l’amateur peut, sinon étancher totalement sa soif de culture, du moins s’abreuver de captations de qualité et d’intérêt variables ?

Peut-être suffirait-il d’écrire que le nouveau Parsifal du Staatsoper de Vienne, qui remplace fort avantageusement la production lourdement décorative et platement conceptuelle commise par Alvis Hermanis, voici quatre ans, est l’une des propositions les plus abouties depuis que ce satané virus a forcé les théâtres à fermer leurs portes au public. Il marque, en tout cas, la rupture désirée par Bogdan Roscic, nouveau directeur de l’auguste institution, avec l’esthétique en cours durant le mandat de Dominique Meyer, gardien zélé, mieux, amoureux d’un temple voué à la tradition.

Nulle révolution – ou révélation – pour autant. En effet, rien n’est vraiment neuf dans ce Parsifal : ni l’usage de la vidéo, ni l’angle dramaturgique, qui ne prétend heureusement pas, loin s’en faut, faire le tour de la question – que reste-t-il d’ailleurs encore à dire sur le « Bühnenweihfestspiel » wagnérien ? –, ni même le style de mise en scène.

La prison des actes I et III conviendrait, par exemple, aussi bien à Fidelio qu’à De la maison des morts, évidemment transposés à l’époque contemporaine, et un contempteur acharné du « Regietheater » ou assimilé relèvera sans doute, et en toute bonne foi, des similitudes avec la manière, à défaut de l’art, d’un Krzysztof Warlikowski ou d’un Dmitri Tcherniakov – ce qui est, pour votre serviteur, tout sauf rédhibitoire.

Il reste que cette retransmission – disponible sur www.arte.tv jusqu’au 17 juillet 2021– procure, du moins pendant les deux premiers actes, un sentiment de communion que nous n’avions pas ressenti depuis des mois. Peut-être est-ce lié au contexte particulier des répétitions : assigné à résidence en Russie, Kirill Serebrennikov a réalisé sa mise en scène à distance, et donc, lui aussi, grâce aux moyens technologiques qui permettent au public d’apprécier le résultat, sans que le point de vue forcément réducteur de la caméra s’érige, comme bien trop souvent, en obstacle.

L’engagement de chacun, jusqu’à l’identification, est admirable, de même que le rythme, aussi haletant qu’inattendu, imprimé au I, par un judicieux découpage en sept jours – dont le rendu demeure authentiquement théâtral, plutôt que cinématographique. Certes, les enjeux de l’histoire, narrée à travers la remémoration d’un Parsifal mûr, flanqué d’un double muet – le fascinant Nikolay Sidorenko, petite frappe à la gueule cassée, dont le corps d’albâtre proclame l’insolente jeunesse –, peuvent paraître dérisoires face aux prétentions métaphysiques de la mystique wagnérienne. Mais la virtuosité avec laquelle Kirill Serebrennikov s’appuie sur des points d’ancrage poétiques, restituant la lettre même du texte, se révèle assez sidérante.

Là où « le temps devient espace », le regard amplifie l’écoute – tandis que l’écoute affûte le regard –, jusqu’à ce qu’ils ne fassent plus qu’un. Il fallait, sans doute, que Philippe Jordan quitte l’Opéra National de Paris, dont il a hissé, et maintenu, l’orchestre à un niveau plus qu’enviable, pour atteindre une dimension nouvelle. Au-delà de la transparence, de la fluidité, qui sont sa signature.

Son nouvel instrument (les Wiener Philharmoniker) lui offre déjà ce quelque chose d’indéfinissable, qui tient au son d’ensemble comme aux individualités, à la profonde intimité que les musiciens entretiennent avec une partition qu’ils jouent chaque année, et à la suprême qualité d’un chant qui fait jeu égal avec celui d’un plateau d’exception.

Jonas Kaufmann fait un « chaste fol » qui n’est plus ni l’un, ni l’autre, sombre et franc, supérieurement modelé. Georg Zeppenfeld ne connaît aucun rival en Gurnemanz – sauf, peut-être, dans les très bons soirs, raréfiés, de René Pape –, alliage étreignant de legato et d’autorité.

Hormis quelques Wolfram dans Tannhäuser, Ludovic Tézier s’est, jusqu’à présent, tenu éloigné de Wagner. Son Amfortas relève d’emblée de l’évidence, au faîte de moyens incomparables – quel timbre et quel souffle ! –, d’une intériorité bouleversante, car dépourvue de toute affectation de « Liedersänger » en pâmoison narcissique.

Pour Elina Garanca, Kundry est la suite logique d’Eboli et de Dalila, qui ont marqué un tournant dès longtemps espéré dans sa carrière. Le velours maternel du grave, l’éclat séducteur de l’aigu, le galbe de la ligne, en somme, le fini vocal, dans un rôle dont la sauvagerie supposée, et l’expressionnisme en résultant, a pu autoriser certaines carences à cet égard, la projettent sans conteste parmi les plus grandes.

MEHDI MAHDAVI

PHOTO © WIENER STAATSOPER/MICHAEL POEHN

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