Opernhaus/www.opernhaus.ch, 11 avril
À l’heure des transpositions en tout genre, le classicisme sait parfois imposer une lecture vivifiante. À Zurich, la nouvelle production des Contes d’Hoffmann, confiée au metteur en scène allemand Andreas Homoki, s’inscrit dans le cadre chic de décors raffinés, quoique minimalistes, où quelques accessoires suffisent à camper un lieu, une atmosphère : un simple tonneau pour la taverne, un lustre, une table de jeux, un piano… qu’on retrouve sur un même sol en losange, trompe-l’œil surélevé et déséquilibrant qu’aurait pu dessiner Maurits Cornelis Escher.
La pénombre imbibe le plateau, mais, par leur vivacité, les costumes d’époque, somptueux, imposent une splendide netteté graphique. Il s’en dégage une manière de raffinement bourgeois, jusqu’à la décadence. Ici, c’est Olympia, robe couleur fraise, cheveux blonds frisotés, attifée comme un bonbon acidulé ; là, c’est Dapertutto, manteau pourpre aux larges revers de fourrure, recouvrant un habit aux rayures épaisses, roses et vertes, mélange de chic et de mauvais goût.
En dépit de conditions techniques complexes, avec orchestre et chœur dans une salle de répétition, le spectacle – filmé sans public et retransmis sur le site internet du théâtre – se déroule impeccablement. Sur scène, des figurants arborent des masques inquiétants et inquisiteurs, à mi-chemin entre le gendarme de Guignol et les figures grimaçantes d’un James Ensor.
Dans l’écrasant rôle d’Hoffmann, le ténor albanais Saimir Pirgu fait preuve d’une belle vaillance, parfois au prix d’aigus tendus, mais avec une vérité dans l’expression, une intensité dans l’incarnation qui confèrent à son poète désespéré une âpreté poignante.
Confier les différentes héroïnes à plusieurs sopranos permet de singulariser chacune de ces femmes, qui jalonnent le parcours amoureux déceptif d’Hoffmann. Ainsi de l’Américaine Katrina Galka, dont l’Olympia est ici davantage humaine que mécanique. Malgré son regard fixe et ses pas désordonnés, elle est loin de la poupée désarticulée que l’on voit d’ordinaire. En quelques mouvements raides, continués en poses languides, elle mène une étrange parade séductrice, où ses vocalises et suraigus assomment Hoffmann, dont l’air benêt exprime assez le ravissement.
Saisissant contraste : dès qu’apparaît Antonia, ceinte d’une admirable robe bleu nuit, la tragédie surgit. D’une voix ample, souple, rayonnante, la Russe Ekaterina Bakanova livre tout le désarroi et les contradictions de son personnage. Et l’on saluera la Giulietta de l’Australienne Lauren Fagan, vamp languissante, au chant très sûr.
Une mention pour la lumineuse mezzo ukrainienne Alexandra Kadurina, Muse/Nicklausse à la présence espiègle, dont le timbre délicat et l’intensité du chant font merveille. Les protagonistes masculins sont de très bon niveau, qu’il s’agisse du baryton-basse britannique Andrew Foster-Williams, vocalement irréprochable dans les quatre figures maléfiques, ou du ténor américain Spencer Lang, qui fait preuve d’un réjouissant sens de la comédie dans les quatre « valets ».
Faut-il une réserve ? La diction, dans l’ensemble, est souvent hésitante, et peine à faire entendre les mots de Jules Barbier.
En dépit de la distance, la direction du chef italien Antonino Fogliani parvient à insuffler à la scène son dynamisme et l’attention aux chanteurs ne faiblit jamais. C’est en soi une prouesse, qui donne à cette production une vie. Numérique, oui, mais une vie.
JEAN-MARC PROUST
PHOTO © MONIKA RITTERSHAUS