Comptes rendus Werther insolite mais prenant à Nice
Comptes rendus

Werther insolite mais prenant à Nice

11/06/2021

Opéra, 4 juin

Depuis cent vingt-neuf ans, le Werther de Massenet se suicidait régulièrement en scène d’un fatal coup de pistolet, mais cela ne pouvait durer. Ainsi, Sandra Pocceschi et Giacomo Strada le font tomber sous une météorite encore fumante, lorsque Charlotte vient le rejoindre. Quant aux pistolets, la jeune femme les a laissés à la maison, quand Albert les lui a confiés (dès lors, on ne comprend plus bien sa hâte d’arriver chez Werther avant qu’il ne soit trop tard !).

Excepté quelques scènes jouées devant un rideau blanc, écran sur lequel sont projetées diverses images romantiques, l’action se déroule dans une serre aérée par de gros ventilateurs, à la climatisation régulée par d’imposants coffrets électriques. Ce sera, successivement, la maison du Bailli, une place à Wetzlar, le salon de Charlotte et la chambre de Werther. On y accède par les dessous, les personnages semblant y monter comme sur le pont d’un bateau.

Si l’on comprend bien le propos des metteurs en scène, qui ont également conçu décors et costumes, Werther est une tragédie écologique. Le Bailli entretient un petit Éden faussement protecteur avec sa marmaille, qu’il ne contrôle plus guère, mais on est déjà dans le monde d’après la catastrophe, comme le suggèrent les projections de tableaux évoquant une nature dévastée.

Werther n’a rien d’un jeune homme promis à un bel avenir, mais plutôt d’un militant zadiste (« Ô nature, peine de grâce »). Idéaliste dont l’intransigeance, poussée jusqu’à la psychose, bouscule cette société trop sereine et marquée par d’embarrassantes valeurs matriarcales – quand Charlotte évoque sa mère, la silhouette de la défunte devient gigantesque. Le héros, fidèle en cela à l’image donnée par Goethe, est déjà ailleurs, dans un autre univers.

Pendant le tableau symphonique de la « Nuit de Noël », une éblouissante étoile filante se projette sur la toile. Elle aura raison de lui et, belle surprise, à la fin de l’ouvrage, il se relèvera, montera sur la météorite et entrera dans une superbe reproduction du Voyageur contemplant une mer de nuages de Caspar David Friedrich, icône de l’art romantique allemand (1818, Hambourg, Kunsthalle).

Tout ceci semble parfois assez étrange, voire contestable, mais on apprend sur Werther quelques choses intéressantes. D’autant qu’on admire sans réserve la direction d’acteurs, chacun jouant très juste : Werther, la folie, Charlotte, la retenue, Albert, l’ambivalence quelque peu hargneuse, Sophie, la fraîcheur d’âme, le Bailli et ses compagnons, la gaieté bon enfant. Quant aux enfants, ils chantent fort bien, avec un joli naturel.

Grâces soient rendues à la direction de Jacques Lacombe : cet excellent connaisseur de Massenet sait se montrer lyrique, mais sans débordement de sentimentalité ou d’énergie, utilisant (distanciation physique oblige) une version à l’orchestration allégée, due au compositeur suédois Petter Ekman. L’Orchestre Philharmonique de Nice respire, coule avec fluidité, et déroule sous le chant un tapis aussi sensuel que précis.

Thomas Bettinger, ténor lyrique à la base, peut désormais aborder des rôles plus corsés, comme Werther. Dans les passages les plus puissants, on sent la voix s’élargir et presque changer de nature, sans pourtant donner une impression d’effort. Son incarnation, en plus, est toujours intéressante.

Anaïk Morel prête à Charlotte un timbre magnifiquement velouté. Face au comportement excessif de Werther, elle conserve une certaine réserve, qui ne se relâche qu’au dernier tableau. Et la puissance vocale, constamment dominée, ne nuit jamais à la musicalité.

La Sophie de Jeanne Gérard n’est pas moins intéressante que sa grande sœur. Loin de l’habituel rossignol pépiant, bien que ses vocalises soient nettement dessinées, la soprano française incarne à merveille ce moment où, quittant l’enfance, la jeune fille devient « d’âge à savoir les raisons de bien des choses ».

Est-ce dû aux options de la mise en scène ? Jean-Luc Ballestra semble gêné par son personnage, dont il donne une interprétation assez raide et uniforme. Belle voix, solidement construite, mais qui ne paraît pas assez exploiter la délicate poésie que Massenet a confiée à Albert, aux deux premiers actes.

Enfin, Ugo Rabec, basse au timbre clair, offre du Bailli une image peu conventionnelle, mais bien vue : un brave homme encore jeune, dépassé par les événements.

L’Opéra Nice Côte d’Azur vient de montrer qu’après des mois de fermeture, il était capable de redémarrer au meilleur niveau.

JACQUES BONNAURE

PHOTO © DOMINIQUE JAUSSEIN

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