Comptes rendus Création hypnotique à Berlin
Comptes rendus

Création hypnotique à Berlin

26/06/2021

1 DVD Naxos 2.110673 & 1 Blu-ray NBD 0120 V

On avait été fasciné, lors de sa création, en novembre 2019, au Deutsche Oper de Berlin, par la radicalité de cette brève œuvre de Chaya Czernowin (née en 1957), qui porte comme sous-titre : An Inquiry About Love (voir O. M. n° 157 p. 30 de janvier 2020). Car c’est bien d’amour qu’il s’agit ici, de la rencontre entre un homme et une femme, et des différents moments qui cristallisent leur relation – sans qu’on ne sache jamais, d’ailleurs, si ce que l’on voit est réel ou imaginaire.

L’originalité du livret, écrit par la compositrice elle-même, est aussi d’adjoindre aux deux personnages jamais identifiés (l’Homme s’appelle « Il », la Femme « Elle »), des « voix intérieures », intervenant en même temps qu’eux, qui sont comme l’expression de leur inconscient. Cette construction dramatique a également pour avantage de couvrir toute l’étendue des tessitures et, ainsi, de s’inscrire dans la grande tradition opératique : à la voix aiguë de la soprano (la Femme) se joint une mezzo (sa voix intérieure), et à la voix grave du baryton (l’Homme), un contre-ténor.

On retrouve cette dissection un peu abstraite, mais assez hypnotique, dans la captation de la création, étalée par Uli Aumüller sur trois représentations (13, 26, 30 novembre 2019). Mieux, on la découvre encore plus précisément, puisqu’elle s’arrête sur chaque détail de la mise en scène très virtuose de Claus Guth – à l’aide d’une tournette, celui-ci fait alterner les moments d’intimité et de foule –, dans laquelle la vidéo a une importance faisant presque penser à une installation d’art contemporain.

Surtout, le DVD permet d’attirer l’attention sur ce qui se passe dans l’orchestre, placé sous la direction de Johannes Kalitzke, et qui est si important. Car la musique de Chaya Czernowin, transformée par l’électronique, joue sur trois fois rien : des bruissements de feuilles dans le vent, des frottements d’objets, un étonnant solo de contrebasse, en ouverture du spectacle, ou, à l’inverse, des envolées lyriques impliquant tous les intervenants, y compris le chœur (une des particularités de Heart Chamber est d’avoir recours à un grand orchestre pour un sujet très mince).

On passe donc rapidement du « micro » au « macro », avec la même intensité. En reconnaissant, toutefois, que la partition est exigeante et que la captation vidéo, si elle permet de se focaliser sur certains détails, n’autorise pas la même concentration que dans la salle.

On ne peut que s’émerveiller à nouveau de l’engagement, physique et vocal, des deux protagonistes principaux, Patrizia Ciofi et Dietrich Henschel – qui, rappelons-le, car ce n’est pas si fréquent dans l’opéra contemporain, viennent du répertoire classique –, ainsi que de l’ensemble des interprètes.

À noter que ce DVD est complété par un long et très intéressant film d’Uli Aumüller, I Did Not Rehearse to Say I Love You, documentant avec précision le processus de création.

PATRICK SCEMAMA

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