Comptes rendus Retour réussi de Samson et Dalila à Orange
Comptes rendus

Retour réussi de Samson et Dalila à Orange

05/08/2021

Théâtre Antique, 10 juillet

On attendait beaucoup du retour de Samson et Dalila aux Chorégies, après quarante-trois années d’absence. Un constat s’impose : l’œuvre s’épanouit à merveille dans le cadre majestueux du Théâtre Antique. Exploitant toutes les opportunités de ce somptueux décor naturel, sans rien y ajouter, Jean-Louis Grinda signe une mise en scène sobre, lisible, dont la beauté repose, d’abord, sur les lumières de Laurent Castaingt et les vidéos d’Étienne Guiol et Arnaud Pottier.

Du spectacle vu à l’Opéra de Monte-Carlo, son coproducteur, en novembre 2018 (voir O. M. n° 146 p. 44 de janvier 2019), restent les costumes pleins de fantaisie et d’un kitsch assumé d’Agostino Arrivabene, ainsi que l’élégante chorégraphie d’Eugénie Andrin. On portera encore au crédit de Jean-Louis Grinda la fluidité des mouvements de foule, qui rendent justice à la dimension « oratorio » de l’ouvrage, et l’habileté avec laquelle il adapte sa direction d’acteurs aux possibilités de ses deux principaux interprètes.

Ne tournons pas autour du pot : ni Roberto Alagna, ni Marie-Nicole Lemieux n’ont le format vocal requis pour incarner Samson et Dalila dans un espace aussi démesuré. Mais, pour nous en tenir aux chanteurs francophones, où sont les José Luccioni et Rita Gorr d’aujourd’hui ? Le ténor français et la mezzo canadienne compensent par la netteté et le galbe souverain de la diction, le raffinement du phrasé, l’intelligence de l’accent, l’idéale fusion des timbres et des intentions.

Rien d’étonnant, dès lors, à ce que leur confrontation atteigne son climax dans le duo d’amour, un « Mon cœur s’ouvre à ta voix » déroulé par Marie-Nicole Lemieux avec la sensualité et le souffle infini d’une Nuit d’été de Berlioz, dans lequel Roberto Alagna se glisse avec un abandon voluptueux (« Par mes baisers, je veux sécher tes larmes »). Le tout, blottis l’un contre l’autre, dans une lumière bleue étoilée, rappelant Jon Vickers et Birgit Nilsson au deuxième acte du légendaire Tristan und Isolde de 1973.

Ailleurs, Marie-Nicole Lemieux est à son meilleur dans tout ce qui est écrit piano legato, notamment « Printemps qui commence », où la pure beauté de l’instrument et l’art de la diseuse plongent l’auditeur dans l’extase. L’agressivité du duo avec le Grand Prêtre, en revanche, lui échappe, d’autant que la voix sonne alors trop claire pour le rôle.

En effet, comme dans son récent Werther montpelliérain (voir O. M. n° 174 p. 52 de juillet-août 2021), la cantatrice tire au maximum vers le soprano – en évitant, néanmoins, le si bémol aigu optionnel d’« Amour, viens aider ma faiblesse ! » –, ne dispensant qu’avec parcimonie ses plus belles couleurs de mezzo-contralto. On peut le regretter, mais le choix se défend et, à l’heure du bilan, le positif l’emporte nettement.

Roberto Alagna, de son côté, n’a pas l’éclat stentorien attendu sur les si bémol aigus de l’appel à la révolte du premier acte et de l’écroulement final du temple. Mais il chante superbement, avec une parfaite conscience de ses limites, délivrant un air « de la meule » d’une intensité déchirante.

En 2016, à l’Opéra National de Paris, Nicolas Cavallier était distribué en Vieillard hébreu, rôle de basse profonde. Avec la remarquable longueur de voix qui le caractérise, il se glisse sans problème dans le baryton du Grand Prêtre, même si la noirceur univoque du personnage ne lui correspond pas tout à fait. Nicolas Courjal et Julien Véronèse sont égaux à eux-mêmes, par rapport aux représentations monégasques de 2018, c’est-à-dire excellents.

Un grand bravo aux chœurs (Opéra de Monte-Carlo, Opéra Grand Avignon), préparés par Stefano Visconti et Christophe Talmont, qui osent le murmure au premier acte, dans un parfait climat d’oratorio, avec le concours d’un Yves Abel exemplaire de retenue au pupitre.

Le chef canadien sait lâcher la bride à sa phalange quand il le faut, comme en témoigne une « Bacchanale » étourdissante de légèreté et de brillant. Mais ce que l’on admire le plus reste la manière dont il atténue le volume, pour permettre aux chœurs et aux solistes de nuancer. Sans lui, Marie-Nicole Lemieux et Roberto Alagna auraient souffert pour passer la rampe. Et puis, quel formidable orchestre de fosse que le Philharmonique de Radio France !

RICHARD MARTET

PHOTO © BRUNO ABADIE

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