Comptes rendus Un opéra pour Napoléon en CD
Comptes rendus

Un opéra pour Napoléon en CD

23/09/2021

Zingarelli : Giulietta e Romeo (extraits)

1 CD + 1 DVD Château de Versailles Spectacles CVS 044

Nul ne saurait l’ignorer : Napoléon Ier, empereur et guerrier, aimait la musique. Pas n’importe laquelle : l’art lyrique le faisait tomber en pâmoison, particulièrement les opéras de compositeurs italiens – il prit à son service, entre autres, Ferdinando Paër et Giovanni Paisiello.

Parmi ses favoris, figurait Niccolo Antonio Zingarelli (1752-1837), sans doute parce qu’au printemps 1796, il avait entendu, à la Scala de Milan, son Giulietta e Romeo, créé dans cette salle, le 30 janvier de la même année. La musique l’avait enchanté et, plus encore, ses interprètes, la contralto Giuseppina Grassini, devenue ensuite sa maîtresse, et le castrat soprano Girolamo Crescentini.

En 1796, Zingarelli a 44 ans. En 1781, son premier opéra, Montezuma, donné à Naples, a établi sa réputation. En 1789-1790, il est venu à Paris, pour la création de son Antigone, mais la Révolution l’a incité à regagner l’Italie, Milan, puis Rome. Ses rapports avec la France seront toujours mouvementés : en 1811, il refusera ainsi de diriger un Te Deum fêtant la naissance du fils de Napoléon ; arrêté, il sera libéré par l’Empereur, toujours aussi admiratif de son art.

Giulietta e Romeo connut un succès ininterrompu dans toute l’Europe jusqu’aux premières décennies du XIXe siècle, notamment au Théâtre-Italien de Paris. Aujourd’hui, son auteur n’est plus qu’un nom parmi d’autres dans les livres d’histoire, mais ces trois actes, sur un livret de Giuseppe Maria Foppa, inspiré par un roman de Luigi Da Porto (Historia novellamente ritrovata di due nobili amanti) et, plus lointainement, par la tragédie de Shakespeare, connaissent un regain d’intérêt depuis quelques années.

Après Salzbourg, Schwetzingen, Venise et Vienne, entre 2016 et 2018, Versailles a ainsi choisi de s’y intéresser, en 2021, dans le cadre du bicentenaire de la mort de Napoléon Ier. Du 30 mars au 3 avril, des extraits de Giulietta e Romeo ont été donnés en concert, à l’Opéra Royal, et enregistrés pour le label Château de Versailles Spectacles.

On comprend aisément les atouts de la partition. Si l’on y distingue encore, dans la distribution vocale, des traces de l’ancien « opera -seria » (présence d’un castrat, ténor dans un rôle de père), la structure générale est moins rigide, donnant à la continuité dramatique davantage de souplesse. Les ensembles, tel le finale de l’acte I, sont savamment équilibrés et, surtout, la mélodie impose sa prééminence.

Faite pour mettre en valeur des interprètes aguerris, celle-ci possède un charme inimitable. Sans être toujours originale, presque trop jolie parfois, elle séduit par sa simplicité, sa beauté plastique, sa fluidité – Vincenzo Bellini, qui fut l’élève de Zingarelli, saura s’en souvenir. Et si la virtuosité n’est pas absente, comme dans l’air de Giulietta « Adora i cenni tuoi », elle n’est jamais envahissante.

Le personnage de Romeo permet à Franco Fagioli de s’exprimer avec sensibilité, trouvant la juste mesure entre le démonstratif et l’émouvant. Son aisance est toujours phénoménale, ses trilles parfaitement maîtrisés, et le passage entre les différents registres ne lui pose aucun problème. Le contre-ténor argentin donne sa pleine mesure à l’acte III, conférant à la scène du tombeau une aura romanesque des plus touchantes.

La suavité du timbre, la vocalisation assurée font partie des qualités inappréciables d’Adèle Charvet, délicieuse Giulietta. Ténor dont on aime l’émission franche et la voix claire, Philippe Talbot apparaît brièvement en Teobaldo, mais plus longuement en Everardo (le père de l’héroïne), qui lui permet des accents vibrants. Quant au jeune Marco Angioloni, les quelques répliques de Gilberto suffisent à le faire remarquer.

Stefan Plewniak dirige, avec dynamisme, un Orchestre de l’Opéra Royal fringant, mais au son encore un peu vert.

Le DVD joint permet de voir l’équipe en action et, surtout, d’entendre Franco Fagioli ressusciter Crescentini dans la Salle du Sacre, entièrement consacrée à -l’Empereur. Le contre-ténor interprète l’air «  Ombra adorata aspetta », qui serait de la main de l’illustre castrat.

Dommage, quand même, que cet « opéra de Napoléon » ne soit offert qu’en extraits ; une intégrale eût été bienvenue.

MICHEL PAROUTY

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