Comptes rendus Pour découvrir les mélodies d’Albeniz
Comptes rendus

Pour découvrir les mélodies d’Albeniz

20/11/2021

1 CD Audax Records ADX 13784

Les mélodies d’Isaac Albeniz (1860-1909), composées entre 1886 et 1908, aux sources et éditions longtemps éparses ou indisponibles, sont restées le domaine de quelques artistes curieux, pas toujours dotés des voix les plus mémorables.

On se souvient d’une étrange anthologie par les sœurs Marina Pardo et Rosa Torres-Pardo (Deutsche Grammophon Espagne, 2006), qui chantaient (l’une tenant aussi la partie de piano) ces pages, comme des chansons de cabaret ou des « pop songs » (qu’elles ne sont évidemment nullement), ou de l’effroyable intégrale de la mezzo Magdalena Llamas, à la voix en lambeaux (Naxos, 2019).

Le pianiste et musicologue américain, installé en Espagne, Mac McClure, qui a réalisé avec Frances Barulich l’édition critique de ces mélodies (Editorial de Musica Boileau, 2006), en avait également proposé l’intégrale avec le ténor Antonio Comas, dont la voix coincée et la diction déficiente défiguraient la plupart des pièces (Columna Musica, 1997).

Autant dire que le nouvel enregistrement intégral que propose la soprano guatémaltèque Adriana Gonzalez, gravé en studio, en février 2021, s’impose comme le seul, à notre connaissance, qui rende toute la mesure de ce corpus, composé de recueils et de mélodies séparées (trente numéros en tout).

La particularité d’Albeniz est qu’il fut un grand voyageur : il vint étudier enfant le piano à Paris, passa par Leipzig, Bruxelles, les Amériques et Cuba, vécut en Angleterre pendant quatre années, avant de revenir s’installer à Paris, puis du côté français des Pyrénées, où il mourut à 49 ans seulement. Les textes en espagnol sont minoritaires (cinq), tandis qu’on trouve des pages en français (quatre, sur des textes de Pierre Loti et Alfred de Musset, notamment), ainsi qu’un cycle de six ballades en italien. Tout le reste est en anglais (quinze mélodies achevées ou retrouvées).

La prédominance de cette langue tient au fait qu’Albeniz passa un contrat avec un riche banquier britannique, Francis Burdett Money-Coutts, mécène des arts et poète à ses heures, rencontré au moment de son installation à Londres : Money-Coutts promettait une rente au compositeur, à condition qu’il mît en musique ses textes et livrets – ce qui explique aussi que les opéras Henry Clifford, Merlin, et même Pepita Jimenez, sont originellement en anglais.

La décision de faire se succéder les mélodies dans l’ordre chronologique de leur composition fait entendre plus nettement l’évolution de l’écriture d’Albeniz, d’abord inscrite dans la tradition française d’un Gounod ou d’un lied aimable à la Mendelssohn, avec des accompagnements de piano peu développés. On constate, ensuite, un langage beaucoup plus riche, où ligne vocale et accompagnement parviennent à s’allier, en ne s’aliénant jamais l’une à l’autre.

On trouvera même quelques chefs-d’œuvre, où l’hispanité plus marquée de l’écriture se fait entendre – comme dans l’envoûtante Paradise regained, qui fait partie des dernières œuvres écrites par le compositeur sur son lit de mort, ainsi que le précise Jacinto Torres, l’autorité musicologique et universitaire concernant Albeniz, dans son texte de présentation.

Adriana Gonzalez est impressionnante de maîtrise ; la voix est superbe, riche, large et pourtant dimensionnée au ton de ces pages, qu’elle sert d’une diction parfaite – notamment en français –, autre différence de marque avec les versions citées plus haut. On regrettera qu’au piano, le chef espagnol Iñaki Encina Oyon ne soit pas au même niveau d’inspiration, de phrasé et de sonorité.

RENAUD MACHART

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