Comptes rendus Berlin inaugure un nouveau Ring
Comptes rendus

Berlin inaugure un nouveau Ring

11/10/2020

Deutsche Oper, 4 octobre

Le nouveau Ring du Deutsche Oper aurait dû commencer en juin, avec Das Rheingold, mais la crise sanitaire en a décidé autrement. Si le Prologue du cycle wagnérien a finalement été donné pour quelques représentations, c’est en forme concertante, et sur le toit de l’ex-maison lyrique de Berlin-Ouest.

Coup de chapeau, donc, aux forces vives qui ont permis de maintenir, contre vents et marées, Die Walküre dans un contexte pas vraiment plus favorable, qui plus est sans renoncer aux ambitions de départ : pas de réduction pour orchestre de chambre, pas de mise en scène distanciée et prudente, mais une politique systématique de tests quotidiens, pendant six semaines, de tous les artistes, techniciens et figurants, grâce au mécénat bienvenu d’un laboratoire pharmaceutique.

Dans un entretien publié dans le programme de salle, Stefan Herheim revient sur quelques éléments de son travail sur Das Rheingold (désormais annoncé pour juin 2021, précédé par Siegfried, en janvier, et suivi par Götterdämmerung, en octobre), qu’il aurait été utile de voir pour comprendre la façon dont ils se développent dans Die Walküre. Car sa mise en scène, dans la droite ligne de son mémorable Parsifal de Bayreuth, en 2008, est truffée de références, d’actions parallèles et de clins d’œil qui requièrent soit des explications, soit de voir chaque spectacle plusieurs fois pour être compris.

Un premier fil rouge réside dans la thématique de l’exil. Rappelant qu’il a commencé à préparer ce projet dès 2015, quand l’Allemagne accueillait près d’un million de réfugiés, Stefan Herheim inscrit sa lecture dans ce contexte inattendu. La maison de Hunding est figurée par un mur circulaire, formé d’un empilement de valises de cuir bouilli, qui évoque inévitablement ces empilements de bagages exposés au camp d’Auschwitz.

La référence au nazisme, quoique discrète, est évidente, d’autant que les nombreux réfugiés, que l’on verra passer ou s’installer en fond de scène, ressemblent plus à ces hommes et femmes forcés de converger en train vers l’Allemagne, il y a trois quarts de siècle, qu’à ceux arrivés récemment, et dans un autre contexte, par la Méditerranée.

Autre fil rouge découlant du premier, d’immenses mouchoirs de soie sont déployés par des filins, comme éléments de décor : pour figurer le Rhin ou les montagnes dans le Prologue, annonce Stefan Herheim ; pour représenter, de façon un peu maladroite, le feu sacré dans Die Walküre.

Enfin, il y a ce grand piano trônant au centre du plateau, piédestal s’élevant dans les airs pour Siegmund et Sieglinde, puis porte d’entrée du monde des vivants pour Brünnhilde, qui y sera installée par Wotan, à la fin du III, enveloppée d’un linceul blanc (le mouchoir de soie, encore) replié par un chœur silencieux de réfugiés, lors d’une émouvante cérémonie d’adieux. Mais l’usage de l’instrument sera, aussi, plus purement musical : Wotan, arrivé par le trou du souffleur, exhibera fièrement la partition de l’opéra, et alternera au clavier avec Fricka pour (feindre de) jouer certains passages célèbres.

Inattendu ? Sans doute, mais pas incongru. Il faut reconnaître que, dans cette mise en scène kaléidoscopique, où il se passe quelque chose à chaque instant, Stefan Herheim est inspiré dans 90 % des cas. L’idée, par exemple, de montrer des étreintes entre Siegmund et Sieglinde, dès le début du premier acte, bien avant que l’épée Notung ne soit extraite… du piano, se base, à raison, sur l’expressivité de l’écriture orchestrale, qui dit déjà l’amour qui les unit.

Nonobstant l’actualisation globale du propos (la plupart des personnages portent des tenues d’aujourd’hui), Brünnhilde a un harnachement tout droit sorti des gravures du XIXe siècle, et les béliers de Fricka sont tressés dans sa coiffure. Pas de quoi satisfaire les puristes (quelques huées se mêlent aux vivats), car Stefan Herheim rajoute quelques éléments pas toujours convaincants.

Passe encore pour le personnage silencieux présenté comme « Hundingling », adolescent craintif et muet, qui évoque Dobby, l’elfe de maison au service de la famille Malefoy, dans Harry Potter : il jette un regard intéressant sur le rapprochement de sa mère et de son oncle au I, tout en veillant (dans l’ombre) à sangler leur baudrier quand ils se campent debout sur le piano volant.

Par contre, si l’idée de prendre la « Chevauchée des Walkyries » avec humour n’est pas mauvaise (quand le rideau se lève, elles papotent avec les guerriers morts et se précipitent, surprises, dans un joyeux désordre pour lancer leurs fameux cris), on n’est pas du tout convaincu par l’idée de transformer, ensuite, lesdits guerriers en zombies violeurs.

Pourtant, même avec ses outrances, le spectacle reste passionnant, d’autant que l’exécution musicale est de très haut niveau. Une nouvelle fois, Donald Runnicles montre à quel point il aime les opéras de Wagner : sa direction sait être, tour à tour, caressante et brûlante. L’orchestre du Deutsche Oper, en grande forme, lui obéit au doigt et à l’œil, et les chanteurs sont véritablement portés et soutenus.

La Sieglinde de Lise Davidsen domine le plateau de la tête et des épaules : on est confondu par le mélange de puissance et d’aisance qu’elle dégage, mais aussi par la beauté et le soyeux de ses phrasés. Bouillant et tendre, le Siegmund de Brandon Jovanovich n’est pas en reste, pas plus que l’impeccable Hunding d’Andrew Harris.

Souffrant, John Lundgren se borne à jouer le rôle de Wotan, laissant à Johan Reuter, arrivé quelques heures plus tôt et dûment testé, le soin de le chanter – superbement – depuis le bord de la scène.

Membre de la troupe du Deutsche Oper, la jeune Annika Schlicht campe une magnifique Fricka. Enfin, Nina Stemme confirme que sa Brünnhilde n’a rien perdu de son éclat : le médium est certes moins projeté que l’aigu, toujours éclatant et mordant, mais la qualité générale de l’intonation et la puissance restent impressionnantes.

NICOLAS BLANMONT

PHOTO © BERND UHLIG

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