Teatro Regio/teatroregio.torino.it, 4 février
Ramener La Bohème dans ses décors d’origine. C’est le but que le Teatro Regio de Turin s’était fixé pour cette nouvelle production, initialement prévue au printemps 2020, avant que les premiers orages de la pandémie ne viennent balayer la programmation.
Quelle meilleure occasion, pour la ressortir des ateliers, que le 125e anniversaire de la création in loco du chef-d’œuvre de Puccini (1er février 1896) ? À condition, évidemment, d’accepter les contraintes désormais bien connues : équipes soumises aux règles sanitaires les plus strictes, captation vidéo à huis clos et retransmission en streaming sur le site du théâtre.
Dommage qu’une panne informatique soit venue plomber cette « première digitale », le 1er février, laissant les internautes sur leur faim devant un écran noir. Reportée de trois jours, la diffusion du spectacle a récompensé leur patience, sans que la mise en scène de Paolo Gavazzeni et Piero Maranghi éclaire l’ouvrage d’un jour nouveau.
Leur lecture est conforme à la plus pure tradition. Aucune indication du livret n’est détournée, et les décors et costumes, évoquant sans ambiguïté le Paris de Louis-Philippe, sont réalisés avec un soin méticuleux d’après les magnifiques croquis d’Adolf Hohenstein, éminent scénographe de la toute première Bohème de l’histoire.
À l’épreuve de la représentation, le résultat n’a rien de poussiéreux, et le charme opère dès la première minute, comme si la fidélité à la lettre ne faisait que mieux préserver l’esprit, ce mélange d’ironie et de rêverie, de fraîcheur et de pathos, qui vous arrache des larmes.
La bande d’amis est bien assortie : voix éclatantes de santé et de souffle théâtral, du Schaunard stylé de Tommaso Barea à l’attachant Colline d’Alessio Cacciamani, jusqu’au Marcello habité de Massimo Cavalletti, maître souverain des sautes d’humeur de son peintre à fleur de peau.
La déception vient plutôt du côté de Rodolfo, tant le jeu d’Ivan Ayon Rivas n’est fait que de gestes maladroits ou convenus. Comment nier, en revanche, le talent vocal du ténor péruvien ? Le timbre est rond, lumineux, servi par une projection insolente et une belle longueur de souffle. Mais le style fait défaut, à commencer par le phrasé, prosaïque et avare de nuances.
Heureusement, Mimi évolue sur une autre planète : émission souple, palette raffinée, Maria Teresa Leva livre une interprétation des plus crédibles, dosant à merveille la retenue de la fragile cousette et la sincérité de ses abandons lyriques. Attention, cependant, à la tendance à gommer les acciaccature, d’autant plus regrettable quand on sait la valeur expressive de ces petits ornements.
Aucune réserve, enfin, pour la Musetta de la soprano arménienne Hasmik Torosyan, renversante d’élégance et de sensualité, sans aucune trace de vulgarité, tant dans ses coquetteries que dans ses élans de charité.
La distribution, complétée par de bons comprimari et un chœur homogène, est portée par la baguette inspirée de Daniel Oren. Le chef israélien, maîtrisant la partition avec entrain et liberté, insuffle à l’excellent orchestre du Teatro Regio une vitalité, une énergie, un sens de la narration dignes des références.
Ce spectacle très réussi, au classicisme assumé, aurait bien mérité l’ovation d’une salle comble !
PAOLO PIRO
PHOTO © TEATRO REGIO TORINO/IVANO COVIELLO