Comptes rendus Brillante Griselda à Martina Franca
Comptes rendus

Brillante Griselda à Martina Franca

13/09/2021

Palazzo Ducale, 29 juillet

La 47e édition du Festival della Valle d’Itria propose, sous le titre général « Fiat lux », un passionnant parcours, du baroque napolitain de Scarlatti et Porpora au classicisme viennois de Haydn, jusqu’aux portes du pomantisme, avec Winterreise de Schubert.

Première étape avec Griselda, dernier opéra d’un Alessandro Scarlatti sexagénaire, créé au canaval romain de 1721 et peu représenté dans la période moderne. Le disque a immortalisé deux exécutions avec Mirella Freni dans le rôle-titre, et des ténors et barytons dans des emplois créés par des castrats : à la NDR de Hanovre, en 1960 (Arkadia), puis à la RAI de Naples, en 1970 (Opera d’Oro). On leur préfère, évidemment, le remarquable enregistrement de studio dirigé par René Jacobs, en 2002, respectant cette fois les tessitures d’origine (Harmonia Mundi).

Le livret ancien d’Apostolo Zeno – considérablement réécrit pour Scarlatti – s’inspire d’un récit cruel du Décaméron de Boccace, où un roi, après avoir épousé une jolie bergère, s’acharne à mettre à l’épreuve sa fidélité par diverses tortures morales, jusqu’à ce que, touché par sa soumission, il lui restitue trône et amour. Situant l’action en Sicile, et la déplaçant du Moyen Âge au début du XXe siècle, Rosetta Cucchi dépasse l’anecdote pour l’inscrire dans un contexte plus général, dénonçant une société patriarcale et conservatrice, complètement sous la coupe de la religion.

Gualtiero est toujours accompagné d’un groupe de paysans, fanatisés par un prêtre omniprésent. De même, Griselda est entourée de suivantes, vêtues comme elle de blanc, mais la tête voilée : une façon de les anonymiser, tout en renvoyant à la terrifiante pratique du « linge glacé » que, voici un siècle encore, on appliquait fréquemment en Sicile sur les nouveau-nés de sexe féminin, pour les étouffer. Dès l’Ouverture, on voit ainsi sa petite fille arrachée à Griselda pour être mise à mort, premier épisode d’une longue série de cruautés et d’humiliations endurées par l’héroïne, avec une résignation qui ne laisse pas d’étonner, voire d’irriter, le spectateur.

Sauf que Rosetta Cucchi joue de notre malaise pour nous faire comprendre que la soumission peut cacher une grande force d’âme et de caractère, tout comme la violence est l’indice d’une insécurité affective. D’où ce troisième acte où les personnages sont attachés à des chaises, l’action étant mimée derrière eux par leurs doubles. Seule Griselda est libre, car, alors que les autres sont asservis à leurs passions, elle est devenue, en un renversement dialectique, maîtresse de son destin.

Cette lecture brillante s’appuie sur un décor sobre et symbolique : au I, le palais montre un trône-divan posé sur du sable instable, et entouré de confessionnaux, tandis qu’au II, quelques arbres stylisés suffisent à donner à voir la forêt entourant l’humble chaumière de l’épouse répudiée, redevenue bergère. Au centre de la scène, une sculpture contemporaine du plasticien italien Davide Dall’Osso se dévoile petit à petit, jusqu’au triomphe final de Griselda.

La partie musicale ne réserve, hélas, pas tout à fait les mêmes bonheurs. George Petrou, chef aussi compétent que sensible, ne s’économise certes pas, mais son savoir-faire ne parvient pas à tirer de cette partition, à l’impact dramatique moins immédiat que du Haendel ou du Vivaldi, la théâtralité voulue. Surtout, pour sa première participation au Festival, l’ensemble La Lira di Orfeo montre constamment ses limites, avec un son petit et ingrat, et une virtuosité modeste.

La distribution est convenable, dominée par le contre-ténor Raffaele Pe, Gualtiero à la voix puissante et homogène, au grave habilement négocié, à l’aigu glorieux et aux vocalises sûres. En Griselda, Carmela Remigio fait preuve d’une implication sans faille. Mais elle ne semble pas très à l’aise dans cette tessiture, souvent trop grave pour elle, l’instrument sonnant étouffé, avec une virtuosité appliquée. L’autre soprano, Mariam Battistelli, a belle allure en Costanza, mais l’émission est irrégulière, et l’intonation parfois douteuse.

Plus de bonheur du côté des deux mezzos, crédibles dans le travesti et vocalement contrastées. Francesca Ascioti compose ainsi un Ottone vindicatif, jouant de l’opulence de son registre de poitrine, quand Miriam Albano incarne un Roberto virevoltant à son entrée, sorte de Cherubino que les épreuves vont peu à peu mûrir. Enfin, dans l’unique rôle « grave » (le seul non dévolu à un castrat à la création) de Corrado, Krystian Adam convainc par son ténor bien éduqué.

Une belle production, qui rend justice à une œuvre magnifique, et qui mériterait d’être reprise, avec un orchestre plus adéquat et une distribution plus homogène.

THIERRY GUYENNE

PHOTO © CLARISSA LAPOLLA

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