Dans une discographie encore « chasse gardée » des interprètes anglo-saxons, on se félicite qu’une équipe française, tous d’anciens étudiants du CNSMD de Paris, fédérés autour d’Anne Le Bozec, propose aujourd’hui sa version des Canticles (Cantiques) de Britten, qui constitue une très belle réussite artistique.
Celle-ci tient, d’abord, à l’intelligence du programme. Les cinq Canticles, composés entre 1947 (My Beloved is Mine) et 1974 (The Death of Saint Narcissus), ne sont pas destinés à être donnés ensemble – ils requièrent, d’ailleurs, des effectifs différents. Excellente idée, donc, conférant à l’ensemble une forte cohésion, que d’ouvrir avec le Prologue pour cor solo de la célèbre Serenade op. 31, d’intercaler des pièces pour harpe et piano, et de faire précéder le Canticle IV (Journey of the Magi) par l’antienne grégorienne Magi videntes stellam, citée par Britten et entonnée ici par Marc Mauillon, baryton habitué à franchir les époques.
L’affinité de Cyrille Dubois avec Britten est ancienne et profonde. Ce disque, gravé en studio, en janvier 2019, trouve d’ailleurs son origine dans deux récitals donnés en 2015, à l’Amphithéâtre Bastille, avec la même pianiste, dans la passionnante série « Convergences », initiée par Christophe Ghristi. Cette vocalité, avec ses lignes volontiers tendues et ses longues courbes mélismatiques, convient très bien – malgré quelques limites dans les forte – au ténor français, qui possède indéniablement le sens du style et du discours propre au compositeur.
Pourtant, ce sont peut-être les pièces où il est rejoint par ses partenaires, baryton et contre-ténor, qui réservent les plus grandes émotions, signe d’un vrai, et magnifique, travail d’ensemble. Dans Journey of the Magi, les trois voix atteignent ainsi une qualité merveilleuse de fusion des timbres – bien plus qu’avec les créateurs, James Bowman, Peter Pears et John Shirley-Quirk –, pour des couleurs et nuances envoûtantes.
Non moins remarquable nous semble, en duo, le Canticle II (Abraham and Isaac), Paul-Antoine Bénos-Djian faisant valoir, dans une partie conçue pour le contralto de Kathleen Ferrier, une voix ronde et égale sur toute la tessiture, y compris les délicats aigus de la fin.
Sur la langue, toujours un défi pour les chanteurs non anglophones, on saluera le très bon travail réalisé grâce aux conseils de la coach Sophie Decaudaveine, et si quelques scories subsistent ici ou là, on aurait grand tort de s’y arrêter, tant ce disque séduit par la qualité des atmosphères, la spiritualité et le recueillement qui s’en dégagent.
Une belle réalisation collective, décidément, grâce également aux excellents instrumentistes, en particulier le piano riche, profond et éloquent d’Anne Le Bozec.
1 CD NoMadMusic NMM 077
THIERRY GUYENNE