Comptes rendus Charles Quint couronné à Munich
Comptes rendus

Charles Quint couronné à Munich

06/03/2019

Nationaltheater, 16 février

Karl V d’Ernst Krenek (1900-1991) est le premier grand opéra entièrement dodécaphonique qui ait pu être achevé, donc déjà, rien qu’à ce titre, un jalon historique important. Ni Lulu d’Alban Berg, ni Moses und Aron d’Arnold Schoenberg, les deux autres projets lyriques exclusivement sériels de la même époque, n’ont été terminés.

En revanche, Krenek, qui utilisait pourtant un mode de construction musicale relativement nouveau pour lui, a pu mener jusqu’à la fin cette vaste fresque historique sur le règne de Charles Quint. Trop tard, cependant, pour une création à Vienne, envisagée pour 1934, mais reportée sine die du fait de la montée du nazisme. Le compositeur, déjà émigré, ne put pas non plus être présent lors de la toute première représentation, à Prague, en 1938.

Après la guerre, redonner vie à Karl V n’a jamais été aisé. Pour les décideurs des théâtres, il s’agissait toujours d’une production trop lourde (même dans la version fortement raccourcie préparée par Krenek, en 1953), et côté public, l’ouvrage était ressenti comme hermétique et ennuyeux. Or, force est d’admettre, même aujourd’hui, qu’il l’est relativement.

Le livret, écrit par le compositeur lui-même, vaste trame d’oratorio en flash-back, a tendance à bavarder beaucoup. D’autre part, une minutie un peu appliquée dans le maniement des règles du dodécaphonisme recouvre le tout d’un grillage rigide, qui peut rendre l’écoute fastidieuse. Seule solution : une exécution musicale de très haut niveau, avec de grandes voix, et une mise en scène évitant toute monotonie visuelle.

Tout cela a été magistralement prémédité et réussi par le Bayerische Staatsoper, ce qui est déjà un événement, autant que le fait que toutes les représentations se soient données à guichets fermés. La distribution est largement dominée par Bo Skovhus, qui chante le rôle-titre avec le même engagement que s’il était en train de nous raconter sa propre existence. L’empereur nous paraît étonnamment proche, voire attachant dans ses questionnements et ses doutes.

L’autre grand personnage de l’opéra, le confesseur Juan de Regla, est confié à Janus Torp, jeune comédien fluet, fragile : une disparité des formats qui crée des déséquilibres dramatiques intéressants. Parmi les dames, toutes excellentes, les intervalles en dents de scie de l’écriture réussissent surtout à Anne Schwanewilms, passionnante Isabella, mais dont le rôle ne dure que quelques minutes. Et la galerie des portraits politiques (le roi de France, le sultan ottoman…) est tenue par des chanteurs de très haut niveau.

En fosse, Erik Nielsen avive les tensions, réveille les couleurs, rend le discours fluide, en parfait contrepoint avec la fascination qu’exerce la scénographie signée par Carlus Padrissa (La Fura dels Baus). Un plateau entièrement inondé, des parois mobiles tantôt réfléchissantes, tantôt transparentes, une trentaine d’acrobates en suspension, dont le décor démultiplie les reflets à la façon d’un kaléidoscope géant, une utilisation de la vidéo absolument magique… L’œil est sans cesse attiré par de nouveaux événements, plus beaux et fascinants les uns que les autres.

Ou comment transformer un ouvrage astreignant en une œuvre d’art total : un miracle qui ne nous rassure en rien sur l’avenir scénique de ce difficile Karl V, mais laisse assurément le souvenir d’une très grande soirée.

LAURENT BARTHEL

PHOTO © WILFRIED HÖSL

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