Comptes rendus Enfance saccagée à Strasbourg
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Enfance saccagée à Strasbourg

29/12/2020

Opéra National du Rhin, 17 décembre

À l’Opéra National du Rhin, cette soirée proche des fêtes de fin d’année devait être la première d’une nouvelle production d’Hänsel und Gretel d’Engelbert Humperdinck. Un projet mené à bien à Strasbourg, tout au long du mois de novembre, dans des conditions de répétition aussi normales que possible, qui, en définitive, a seulement débouché sur deux représentations sans public, filmées en vue d’une diffusion, le 30 décembre, sur plusieurs chaînes régionales (Alsace 20, Via Vosges, Via Moselle, Canal 32), ainsi que d’une mise à disposition en streaming sur internet.

Du côté de l’équipe du spectacle, l’effervescence de la soirée reste proche de celle d’une première habituelle. Invité au dernier moment à assister à ce qui est redevenu une séance de travail à huis-clos, on constate qu’un véritable enthousiasme à travailler demeure intact, même si le rideau se lève sur un parterre vide, où seuls ont pris place les techniciens de l’équipe de tournage.

La représentation est démembrée en deux sections : d’abord l’ouverture et les interludes d’orchestre, qui requièrent un placement spécifique des caméras par rapport à la fosse ; puis, après une pause technique, ce qui reste de l’opéra, enchaîné d’un seul tenant.

À la tête de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, Marko Letonja met à profit la première heure pour tenter de faire sonner le mieux possible une réduction de la partition effectuée par l’arrangeur britannique Tony Burke. Une trentaine d’instrumentistes seulement, effectif qui surexpose beaucoup la petite harmonie, et surtout les rares et malheureux cuivres résiduels, auxquels incombent des lignes particulièrement denses.

L’échauffement paraît long, dans des conditions difficiles, le chef préférant procéder par prises successives, comme s’il s’agissait d’enregistrer un disque. Mais finalement, en dépit des contraintes de distanciation et de port du masque, la chaleureuse musique d’Humperdinck parvient à prendre d’appréciables envols.

Pause technique, puis lever de rideau sur la mise en scène de Pierre-Emmanuel Rousseau, qui met l’accent sur l’extrême misère de parents clochardisés, incapables de gérer la charge de leur progéniture turbulente. Chassés du terrain vague jonché de détritus qui leur sert de domicile, Hänsel et Gretel vont se trouver pris au piège des mirages d’un lieu de divertissement aux mille lumières.

Sur ce parc d’attraction fatal règne une sorcière pédophile et sadique, qui travestit ses pulsions sous les atours d’une Marlene Dietrich en pleine dégénérescence. Au centre du dispositif, outre un grand escalier à descendre comme une star, l’entrée d’un dangereux train fantôme, voire un donjon grillagé éclaboussé de traînées sanguinolentes qui ne laisse guère d’illusion sur le sort de ceux qui s’y aventurent.

L’ambiance de la production, d’ailleurs déconseillée aux moins de 10 ans, est malsaine à souhait, s’appuyant au besoin sur les troublants doubles sens psychanalytiques qu’elle révèle dans le texte chanté par la Sorcière, incarnée brillamment par le ténor Spencer Lang. Et même les retrouvailles finales, avec des parents qui restent autoritaires et frustes, demeurent teintées de mélancolie voire de désespoir : ceux d’une enfance saccagée.

Une vision qui fait totalement l’impasse sur les aspects de friandise de Noël traditionnellement associés à l’ouvrage, mais ne renonce pas à un certain merveilleux, avec ses multiples apparitions chorégraphiées de personnages de contes et de cirque, entre rêve et cauchemar.

Sans surprise, Anaïk Morel maîtrise toujours le rôle d’Hänsel avec autant d’aplomb, alors que la toute menue Elisabeth Boudreault parvient à incarner le personnage plus enfantin de Gretel en restant constamment crédible. Irmgard Vilsmaier, mère instable psychiquement, aux raucités bien en situation, et Markus Marquardt, jovialités d’ivrogne restituées par un bon tempérament scénique, complètent cette distribution pertinente, à laquelle ne manque que le stimulus d’un véritable public pour se révéler idéale.

LAURENT BARTHEL

PHOTO © KLARA BECK

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