Comptes rendus Étrange Otello à Munich
Comptes rendus

Étrange Otello à Munich

10/01/2019

Nationaltheater, 21 décembre

Amélie Niermeyer, qui avait piteusement raté La Favorite à Munich, en 2016, réussit mieux cet Otello, aussi parce que secondée par un meilleur décorateur. Christian Schmidt enferme le drame dans une succession d’intérieurs cossus, neutres, système compliqué de lambris et cloisons mobiles, qui met bien en valeur les costumes très XXe siècle d’Annelies Vanlaere, assez invariablement gris ou noirs : une esthétique froide, distanciée, mais d’une valeur plastique indéniable.

Le rôle-titre de l’intrigue, cela dit, a-t-il vraiment intéressé Amélie Niermeyer, qui semble vouloir nous rendre le plus indifférent possible ce mari violent, psychologiquement détruit, affectivement bloqué ? Le pauvre Jonas Kaufmann en fait les frais, sanglé dans un uniforme anonyme et les cheveux aplatis sous une insignifiante perruque rase. Plus aucune prestance physique, pour un chanteur qui, jugé à l’aune de cette nouvelle production munichoise, n’a pas non plus le format sonore de l’emploi.

On admire l’intériorisation de nombreuses séquences, mais il faudrait aussi à ce personnage de lion blessé des moments de rage impulsive et claironnante, que le ténor allemand est incapable de fournir. À tout recentrer dans la nuance et l’introspection, une bonne moitié de l’ambitus dynamique manque, au point même que, dans un passage clé comme « Dio ! mi potevi scagliar », le public décroche, tousse, bouge, ne parvient plus vraiment à s’intéresser à cet Otello intime et murmurant.

La mise en scène semble davantage empathique avec Desdemona, presque toujours visible à l’arrière-plan et qui se voit gratifiée d’un rôle pas du tout effacé : celui d’une femme intelligente et déterminée, au point d’opter progressivement, à force de se trouver injustement violentée, pour une sorte de fatalisme suicidaire. Ce profil colle parfaitement avec l’évolution vocale actuelle d’Anja Harteros, qui perd un peu de la liquidité et de la flexibilité de l’aigu au profit d’un médium plus charpenté. Quant à l’investissement physique de la soprano allemande, plutôt timide d’habitude dans la conscience de son corps, il surprend par son intensité.

Énorme travail de direction d’acteurs, aussi, pour rendre le baryton canadien Gerald Finley le plus machiavélique possible. Ce n’est pas là un Iago doté d’une voix particulièrement noire, mais le potentiel de nuisance de ce meneur de jeu démoniaque semble infini, grâce à une gestuelle continuellement variée et d’une implacable lisibilité. Étonnante performance, que ne dessert pas un timbre qui reste, dans l’absolu, un rien trop léger.

N’oublions pas Cassio dans cette constellation : le jeune Evan LeRoy Johnson, ténor américain à la haute stature et à l’énorme tête, qui semble abriter des résonateurs surpuissants. Assurément, une voix qui va acquérir rapidement un très beau format (peut-être bientôt celui d’un Otello ?).

En fosse, Kirill Petrenko a souvent fort à faire pour contrôler le volume sonore, afin que les deux principaux titulaires masculins puissent passer l’obstacle, et il obtient, à ces moments-là, de superbes nuances. En revanche, partout où l’orchestre peut exploser, il le fait avec une énergie fracassante. Un Verdi flamboyant, qui paraît presque parfois trop surligné, comme si chaque séquence devait y faire systématiquement l’objet de recherches opiniâtres de beauté et de sens, mais à quel génial niveau !

LAURENT BARTHEL

PHOTO : © WILFRIED HÖSL

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