Comptes rendus Exceptionnel Saul au Châtelet
Comptes rendus

Exceptionnel Saul au Châtelet

24/01/2020

Théâtre du Châtelet, 21 janvier

Que cette production de Saul (Saül), créée triomphalement à Glyndebourne, en 2015, fait du bien, qui réveille enfin une saison parisienne jusqu’à présent assez morne ! D’autant qu’elle se joue au Châtelet, qui renoue, pour une dizaine de jours, avec les heures les plus glorieuses de son passé, certes pas si lointain, de théâtre lyrique à part entière.

D’un oratorio, dont la morale censément sévère irrigue une musique où Haendel, parvenu à un tournant de sa carrière, renoue avec l’inspiration débridée de sa jeunesse, Barrie Kosky fait, avec la complicité de Katrin Lea Tag, pour les décors et les costumes, et de son fidèle chorégraphe Otto Pichler, un véritable opéra, et bien plus encore. À la fois dépouillé et exubérant, saturé de couleurs, mais d’une profonde noirceur.z

Dans cet espace d’aucun lieu, ni d’aucune époque, où des tables recouvertes d’immenses bouquets, et de fleurs, et de victuailles, laissent place à un magnifique champ de cierges, puis au vide et à la désolation, Shakespeare rencontre Beckett, peut-être, mais aussi Vincente Minnelli. Afin que Barrie Kosky révèle, avec une lisibilité haletante, autant qu’un sens époustouflant de l’image, l’essence, tragique plus que biblique, de cette histoire de pouvoir et de folie.

Mais le génie du metteur en scène australien est, d’abord, d’embrasser l’élan de la partition, pour mieux en exalter l’impact physique irrésistible. À commencer par celui du chœur qui, s’il n’est pas crédité comme tel, est bel et bien celui de Glyndebourne. Regroupant des membres de plusieurs éditions, dont les trois quarts ont déjà participé à la production, soit dès 2015, soit lors de la reprise de 2018, cet ensemble éminemment soudé emplit la salle d’un son glorieux, d’une clarté propre à l’idiome haendélien qui, privilège de la tradition, coule dans leurs veines.

Sorti du rang pour remplacer Benjamin Hulett, souffrant, David Shaw est, pour cette raison même, un Jonathan impeccable, à défaut de marquant. Sa haute stature distingue d’emblée Stuart Jackson, dont l’étonnant bouffon, entre ironie blasphématoire et sagesse incantatoire, fusionne Abner, Doeg, le Grand Prêtre, et l’invisible Amalécite, quand le corps et le ténor décharnés de John Graham-Hall confèrent à la Sorcière d’Endor une aura d’inquiétante étrangeté.

Contre-ténor à l’ancienne, en ce qu’il n’a, à aucun moment, recours au registre de poitrine, et semble peu porté à la pyrotechnie, Christopher Ainslie allie, en David, la douceur presque mélancolique du coloris à une projection d’une incontestable vigueur. Candide, certes, mais jamais niaise, Anna Devin chante Michal comme elle respire, lumineuse et ductile, tandis que l’altière Merab expose le côté obscur de Karina Gauvin, au sommet de son art dans le repentir doloriste de « Author of peace », après avoir tranché dans la pulpe du timbre, pour faire claquer et siffler les consonnes de ses premiers airs.

Il faut placer à part l’incarnation de Christopher Purves, doublé depuis la fosse, en ce soir de première, par un Igor Mostovoi dont le placement, très en retrait sur le plan acoustique, ne permet pas de jauger les qualités – et pour quelle obscure raison n’a-t-il pas été invité à venir saluer sur scène avec le reste de la distribution ? Car, même privé de voix, le baryton-basse britannique est un Saul d’une intensité animale, d’une vulnérabilité tour à tour hallucinée et brutale, qui laissent absolument pantois.

À la tête de l’orchestre Les Talens Lyriques, en excellente forme, Laurence Cummings ne semble pas, de prime abord, à même d’épuiser le potentiel dramatique de la pièce. La justesse de sa pulsation, comme sa parfaite connaissance du style, n’en sont pas moins indispensables à la très haute tenue musicale d’un spectacle définitivement exceptionnel.

MEHDI MAHDAVI

© PATRICK BERGER

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