Comptes rendus Falstaff attachant à Aix-en-Provence
Comptes rendus

Falstaff attachant à Aix-en-Provence

09/08/2021

Théâtre de l’Archevêché, 13 juillet

Le « minimaliste extravagant » – ainsi que Barrie Kosky se définit lui-même – a encore frappé ! Moins fort, sans doute, qu’espéré. Mais cette déception, toute relative, est le lot de ces metteurs en scène surdoués que leur talent qui, immanquablement, s’ébruite, finit par rendre indispensables aux plus grandes maisons, où ils enchaînent les productions sans avoir le temps de reprendre leur souffle. Combien de fois, l’effet de surprise éventé, leur a-t-il été reproché de se répéter ?

Ce n’est certes pas encore le cas du trépidant directeur du Komische Oper de Berlin, qui garde plus d’un tour dans son sac. Et le voici qui, à rebours, peut-être, des attentes que son nom suscitait, prend Falstaff tel qu’il est : une comédie. Ce qui ne signifie pas, loin s’en faut, que le rôle-titre doive ressembler à un vieillard libidineux et bedonnant, arborant panache défraîchi, et dont les restes de repas censément gargantuesques s’accumuleraient dans une moustache malpropre.

« Pancione » sans panse ajoutée, ce chevalier de la Jarretière porte encore beau. Moins glouton que fin gourmet, il concocte, fesses à l’air sous son tablier, et avec l’agilité d’un maître queux, des plats raffinés et complexes, dont les recettes, aux tournures délicieusement désuètes, sont énoncées avec lascivité par une voix féminine, puis masculine, et enfin en duo, entre les parties des deux premiers actes.

D’abord pour tromper la solitude, dans cette auberge où se croisent, sans jamais se voir, des marginaux qu’on croirait tout droit échappés de l’univers de Christoph Marthaler – dont, en guise de page, un dépressif sénile, auquel il faut au moins vingt minutes pour parcourir la distance de cour à jardin.

La coquetterie, chez cet amoureux insatiable de la chère et de la chair, se confond avec l’autodérision. Portant perruques – de toutes longueurs et couleurs, selon la circonstance –, non pour dissimuler une calvitie dont il ne fait pas mystère, mais comme il assortirait sa cravate à ses chaussettes ou, en l’occurrence, le costume qu’il revêt pour son « deux à trois » chez Alice, aux motifs « vintage » qui recouvrent tant le sol que les murs, Falstaff a-t-il jamais été aussi attachant ?

Au point que les autres personnages peinent parfois à exister. Et que les scènes d’ensemble tardent à trouver leur rythme, à commencer par le finale du II, où un simple sac a été substitué au traditionnel panier à linge, sans vraiment alléger une chute dans la Tamise réduite à un passage à la trappe, d’ailleurs à deux doigts de passer inaperçu.

Tantôt respectant le texte, tantôt s’en affranchissant comme pour mieux coller à la musique, qu’il use en indéfectible alliée, Barrie Kosky truffe sa mise en scène – qui est d’abord une mise en jeu, au sens propre, car ludique – de trouvailles savoureuses. Combien de pâtisseries, du format individuel à la démesure d’un gâteau de banquet, autour de ce lit aux allures de pièce montée, à l’assaut duquel celui qui fut « un mirage charmant, léger, aimable » se présente en tenant, au bout d’une ficelle, un ballon en forme de cœur ? Et quoi de mieux, pour effrayer Falstaff, en coupant, ne serait-ce qu’un instant, son appétit de vie, qu’une mascarade en habits de grand deuil ?

La première vertu de Daniele Rustioni est d’avoir, dans cette mécanique horlogère, un sens infaillible du tempo giusto. La seconde, qui n’est pas moindre, est de connaître suffisamment la fosse du Théâtre de l’Archevêché pour faire jaillir de tous les pupitres de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon les mille couleurs de la partition.

La palette vocale que Christopher Purves offre au héros éponyme pourra, par contraste, sembler limitée. Mais le baryton britannique ne cherche pas, sur ce plan, à rivaliser avec les grands titulaires du passé – encore qu’une technique, certes personnelle, mais suffisamment efficiente, lui permette, en détournant à son avantage ses tentatives avortées de falsetto, d’assumer l’ambitus bien mieux que certains de ses illustres prédécesseurs. L’acteur, de surcroît, est immense, qui ajoute à l’ascendant physique une diction d’une irrésistible gourmandise.

Embourbée dans une émission chaotique, l’Alice de Carmen Giannattasio s’avère désespérément indigeste. Et il lui suffit d’ouvrir la bouche pour déparer le quatuor de dames, sans toutefois affecter la vis comica insoupçonnée de  Daniela Barcellona, Mrs. Quickly assez génialement dégingandée pour compenser la retenue un rien frustrante de ses « Reverenza ! », et les piani enchanteurs de Giulia Semenzato, qui décuplent les attraits d’une Nannetta florissante.

Si l’allure d’éternel adolescent de Juan Francisco Gatell s’accorde idéalement au charme d’un Fenton en culotte courte, elle n’empêche pas son registre supérieur de s’étioler. S’agissant de Ford, enfin, ce n’est pas un songe, mais bel et bien une évidence : Stéphane Degout donne, sans se hausser du col, et comme pour son premier Posa dans Don Carlos, la plus époustouflante des leçons de chant.

MEHDI MAHDAVI

PHOTO © MONIKA RITTERSHAUS

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