Comptes rendus Gluck vainqueur à Angers
Comptes rendus

Gluck vainqueur à Angers

29/10/2020

Grand Théâtre, 23 octobre

Metteur en scène, scénographe et costumier de cette nouvelle production d’Iphigénie en Tauride, Julien Ostini a des ambitions, longuement exposées dans le programme de salle et dans quinze vidéos diffusées en préliminaire sur le site d’Angers Nantes Opéra. Et il ne craint pas non plus les références : pour l’espace unique choisi comme lieu de l’action, « il s’agit d’un temple, inspiré de la préhistoire, de Max Ernst et de Pierre Soulages, ces trois références partageant un geste artistique simple pour un effet saisissant ».

Sans poser la question de la compatibilité de ces composantes pour le « geste artistique », il faut en rabattre un peu. Devant un fond de scène recouvert d’un rideau plissé, qui peut connoter le néo-classicisme de l’œuvre, une haute stèle occupe le centre du plateau, encadré de piliers quadrangulaires, côté jardin, et d’une vasque où une flamme brûlera continûment, côté cour.

Un anneau monumental, orné de signes cabalistiques, parcourra lentement le second plan, de haut en bas et de long en large, dont on devine assez vite qu’il représente Diane, car « la manifestation du Divin n’est pas un débarquement de dernière minute. Son regard est omniprésent et souligne (…) la dramaturgie et l’interrogation de ce que l’on fait de la religion ». De fait, Diane en surgira au finale, l’anneau ayant triomphé des piliers et de la stèle « primitivistes », tombés ou lentement absorbés par le sol.

Ce dispositif peut donner lieu à quelques belles images : ensemble mordoré pour « Unis dès la plus tendre enfance », au II, ou début de la cérémonie finale, sous le signe du grand disque doré. Il est nettement moins heureux quand le rideau du fond s’illumine de violentes couleurs uniformes, dans ce qui relève globalement d’une esthétique composite à l’excès. Pour les costumes encore, opposant des drapés blancs à l’antique des plus classiques pour les Prêtresses, au pittoresque des costumes « tartares » des Scythes.

Les choses se gâtent vraiment avec des Euménides confiées à trois danseuses, outrageusement vêtues et maquillées, couleurs et éclairages relevant plus du cabaret que de la « tragédie lyrique », et frisant parfois le ridicule, avec la très mauvaise idée de les faire gesticuler autour d’Oreste pour « Dieux qui me poursuivez » ou « Le calme rentre dans mon cœur », puis d’en faire les geôlières des deux amis, au III, grimaces et contorsions parasitant alors un des moments les plus intensément concentrés de la partition.

C’est donc aux chanteurs qu’il revient de défendre le sublime gluckien. On attendait beaucoup de Marie-Adeline Henry en Iphigénie. De fait, la tragédienne captive et séduit dès un très émouvant « Ô toi qui prolongeas mes jours ». La beauté du grave et du médium ne se dément pas, avec de superbes phrasés, lui permettant aussi de triompher sans problème des sauts d’intervalles et de la virtuosité du périlleux « Je t’implore et je tremble ».

La diction est parfaite (aucune liaison ne manque !), l’articulation un peu moins, et le surtitrage se révèle parfois utile, l’aigu puissant, libéré sans assez de mesure, sonnant cru et dur dans l’acoustique très sèche du Grand Théâtre, pour ce qui n’en est pas moins, au total, une remarquable prestation.

Avec toujours un léger accent qu’on parvient à oublier, Charles Rice est un Oreste d’une belle autorité, qui lui permet de triompher d’une scène dénudée risquée, pour le sacrifice du IV. Sébastien Droy lui donne l’accompagnement d’un Pylade plus doux, au timbre charmeur, et souverain dans la nuance : son « Ah ! mon ami, j’implore ta pitié » suscite, à juste titre, les applaudissements dont la salle est, pour le reste, avare.

Avant la brève intervention de la solide Diane d’Élodie Hache, Jean-Luc Ballestra offre un Thoas véhément et un peu fruste, amené à forcer ses aigus, mais tenant honorablement sa place. On souhaiterait, enfin, une meilleure homogénéité, vocale et visuelle, au Chœur d’Angers Nantes Opéra.

Diego Fasolis tient très fermement l’ensemble, animant au mieux, en lieu et place de ses effectifs baroques habituels, le bon Orchestre National des Pays de la Loire, mais sans pouvoir non plus approfondir.

Après quelques marques de désapprobation pour la production, cet ensemble trop inégal, dont Gluck sort pourtant vainqueur, est bien accueilli par le public, masqué, et réduit par la jauge.

FRANÇOIS LEHEL

© JEAN-MARIE JAGU

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