Comptes rendus Hippolyte et Aricie confinés à Paris
Comptes rendus

Hippolyte et Aricie confinés à Paris

03/12/2020

Salle Favart/Arte Concert, 14 novembre

Comment ne pas s’en vouloir un peu de ne pas éprouver, au visionnage de cet Hippolyte et Aricie – pour lequel l’Opéra-Comique a vaillamment bravé les obstacles dressés successivement devant lui, depuis la réduction de jauge jusqu’au deuxième confinement, en passant par le couvre-feu, pour que l’aventure aboutisse au moins devant les caméras –, un plaisir sans mélange ?

La faute en incombe, en majeure partie, à l’équipe scénique, placée sous la férule de Jeanne Candel. S’il ne s’agit pas de contester par principe le choix du directeur, Olivier Mantei, de faire appel à des personnalités issues du théâtre – musical, en l’occurrence –, force est de constater que la greffe, ici, ne prend pas.

C’est souvent en vain que l’esprit rationnel cherche à identifier, dans ce patchwork de références – où se croisent pêle-mêle Niki de Saint Phalle, la Médée de Pasolini, Piranèse, teinté peut-être de l’infernale bureaucratie kafkaïenne, et même les « figures grotesques et cruelles » du carnaval de Dunkerque –, les intentions dramaturgiques exposées dans le programme. Et puisque Thésée trouve, ainsi que le lui prédisent les Parques, les Enfers chez lui, l’architecture du décor ne change plus à partir de l’acte II…

Il revient dès lors à l’interprétation musicale d’embrasser, et d’embraser le drame. C’est sans compter avec la prise de son, qui se révèle un handicap inattendu, tant pour l’orchestre que pour les chanteurs. Première victime de ces avanies techniques, Eugénie Lefebvre est condamnée, au I par des bruits parasites, au V par un micro manifestement mal réglé, à jouer les lointaines utilités, alors même que sa Diane laisse deviner autant d’éclat que d’éloquence.

Edwin Fardini varie, en Tisiphone, du tonitruant à l’inaudible, tandis que l’Œnone de Séraphine Cotrez, pourtant gratifiée d’un air de remplacement emprunté à Phèdre, s’évapore dans une larmoyante trémulation. En revanche, le charme délicieusement caméléon de Lea Desandre est intact. À l’instar de la haute-contre sans raideur, ni contrefaçon de Reinoud Van Mechelen, Hippolyte toujours éminemment châtié.

Trop souvent réduite à une silhouette niaisement décorative par des demi-voix auxquelles les minauderies tiennent lieu de style, Aricie prend chair grâce à Elsa Benoit, qui pas un instant ne dévie de sa ligne limpide et vibrante. Aussi immenses, enfin, l’un que l’autre, Stéphane Degout et Sylvie Brunet-Grupposo le sont pour des raisons quasi opposées.

Thésée n’a plus le moindre secret pour le baryton, qui élève une nouvelle fois l’art, tant fantasmé, du chant français au rang de science exacte, sans que l’expression, juste, noble, profonde, ne paraisse jamais calculée. Dans un rôle qu’elle attendait, sans doute, autant qu’il l’attendait, la mezzo-soprano se laisse, quant à elle, porter par un formidable instinct de tragédienne lyrique, Phèdre tout sauf monstrueuse, que sa vulnérabilité entraîne jusqu’au plus déchirant murmure, dans l’un de ces moments où l’osmose entre le plateau et la fosse laisse abasourdi.

Une balance décidément aléatoire l’empêche, néanmoins, d’être constante et, partant, contrecarre les plans de Raphaël Pichon qui, en optant, à quelques ajouts, coupures et emprunts près, pour la version de 1757, cherchait à tendre au maximum l’arc dramatique. Il arrive, en effet, que le rebond, les contrastes, les relances du discours fassent défaut, dès lors que Pygmalion, instrument au demeurant glorieux, cherche, dans une acoustique rendue méconnaissable, sa concentration.

Faut-il regarder cette captation en huis clos (disponible sur www.arte.tv jusqu’au 13 mai 2021), dont le mixage du DVD annoncé devrait atténuer les défaillances ? Ou plutôt attendre qu’à la Salle Favart, ou à l’Opéra Royal de Versailles, coproducteur du spectacle, les acclamations du public fassent enfin écho à la ferveur des artistes ? Il est si triste, en guise de saluts, de les contempler alignés à la corbeille, dans un silence glaçant.

MEHDI MAHDAVI

PHOTO © STEFAN BRION

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