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Comptes rendus

Inondation criminelle à l’Opéra-Comique

07/10/2019

Salle Favart, 29 septembre

Le rideau se lève sur une maison de poupée, ou plutôt un immeuble mansardé de deux étages, avec trois niveaux d’appartements en coupe. On s’agite sous un éclairage blafard. Le public est placé dans la position du voyeur. Son regard doit obligatoirement balayer l’espace et suivre les personnages qui passent d’une pièce à l’autre : chambre, salle à manger et canapé/cuisine en formica, entrée, salle de bains.

Impossible de ne pas songer au film Fenêtre sur cour (Rear Window, 1954) d’Alfred Hitchcock. Le spectateur, comme James Stewart, est cloué à son siège et plongé dans l’intimité de deux couples : la Femme et l’Homme, au rez-de-chaussée ; le Voisin, la Voisine et leurs deux enfants, au premier étage. Sous les toits habite une jeune fille, dont le père vient de mourir. L’Homme et la Femme recueillent alors la Jeune Fille. Elle s’occupe des tâches ménagères, entame une liaison avec le mari. L’épouse délaissée ne dit rien, résignée.

Puis une inondation dévaste l’appartement. Le trio est alors hébergé au premier étage. Au moment où ils regagnent leur rez-de-chaussée, la Jeune Fille disparaît. La vie reprend pour le couple qui, finalement, attend un enfant. En réalité, il y a eu meurtre, car si le spectateur complice a bien suivi l’action, il sait que, dans la nuit, la Femme a étranglé la Jeune Fille dans la cuisine… Dernière image : devenue folle, celle-ci avoue son crime sur son lit d’hôpital.

Joël Pommerat, auteur du livret et bien connu des amateurs d’opéra – ses pièces Thanks to my Eyes, Au monde et Pinocchio ont successivement été mises en musique par Oscar Bianchi, pour la première, en 2011, et Philippe Boesmans, pour les deux suivantes, en 2014 et 2017 – adapte ici une nouvelle d’Evgueni Zamiatine, datant de 1929. L’écrivain russe est surtout connu pour avoir participé au livret du Nez de Chostakovitch, d’après Gogol, en 1930, et six ans plus tard, au scénario du film Les Bas-fonds, tourné par Jean Renoir, d’après Gorki.

Disons-le tout net, ce personnage de la Jeune Fille – que l’opéra dédouble entre une chanteuse et une comédienne – manque d’ampleur ; il n’est ni celui de La Métamorphose de Kafka, ni celui du Schmürz, maltraité à loisir dans Les Bâtisseurs d’empire de Boris Vian. Joël Pommerat tire le texte vers une esthétisation extrême de la langue, cherchant à sublimer l’ordinaire, le banal. Il use de la répétition, faisant tourner les phrases, les mots, dans la bouche des chanteurs, comme un soliloque intérieur. Peu de communication entre ces êtres, finalement.

En cela, Joël Pommerat a trouvé un compagnon fidèle en la personne du compositeur italien Francesco Filidei (né en 1973). L’Opéra-Comique a ainsi fourni des moyens exceptionnels, depuis janvier 2017, nous dit-on, pour organiser des ateliers de réflexion et d’échange entre les différents protagonistes : librettiste/metteur en scène, compositeur, chanteurs et chef d’orchestre. Le résultat est éloquent.

La véritable émotion se situe néanmoins non dans le travail de Joël Pommerat, mais dans la partition de Francesco Filidei, dont c’est le second opéra, après Giordano Bruno, en 2015. Il donne corps à la parole froide et désincarnée de Pommerat, irisant les mots d’un rien, du souffle d’un instrument, du claquement sec de la percussion ou du mouvement ralenti et répété des cordes.

Le compositeur apporte sa facétieuse personnalité par ses mouvements d’horlogerie, ses rythmes secoués et son orchestration bigarrée, où fourmillent de discrets objets sonores (sifflet, happeaux, etc.) – un instrumentarium bien exploité par un Orchestre Philharmonique de Radio France d’une excellente tenue, sous la baguette d’Emilio Pomarico.

Le sens de la prosodie chez Filidei tient autant de Salvatore Sciarrino que de Michaël Levinas, deux de ses anciens professeurs. Sobriété et distance caractérisent cet art vocal, au sein duquel le « couple » formé par Chloé Briot et Boris Grappe jongle avec une liberté déconcertante. On aime le fantastique d’une partition qui, comme chez Debussy, ne s’exprime qu’à demi-mot pour mieux suggérer, tout en cherchant – sans la trouver – une dimension supérieure dans ce récit d’une morne platitude, relevant bien plutôt d’une esthétique du vide… que le spectacle, aussi léché soit-il, ne parvient pas à relever.

FRANCK MALLET

PHOTO © STEFAN BRION

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