Comptes rendus Korngold rare à Turin
Comptes rendus

Korngold rare à Turin

01/02/2020

Teatro Regio, 25 janvier

Die tote Stadt est presque entrée au répertoire, et Das Wunder der Heliane a été donné plusieurs fois. À l’opéra, la renaissance de Korngold semble toutefois s’arrêter là. Rare au disque, Violanta l’est tout autant à la scène : on recense à peine une demi-douzaine de productions dans le monde, ces vingt dernières années…

Œuvre de jeunesse, peu digne d’intérêt ? Violanta ne précède Die tote Stadt que de quatre ans, et la maîtrise du compositeur y est déjà confondante. Œuvre trop courte ? Certes, le deuxième opéra de Korngold ne dure qu’une heure et quart, mais rien n’empêche de le donner avec Der Ring des Polykrates, son tout premier, ce qui fut d’ailleurs fait à la création, à Munich, en 1916.

Un couplage avec Eine florentinische Tragödie, ouvrage quasi contemporain de Zemlinsky, serait plus pertinent encore, tant l’histoire n’est pas sans similitude. Épouse de Simone Trovai, capitaine de la garde de la république de Venise, Violanta le supplie d’assassiner le bel Alfonso, séducteur de sang royal qui la poursuit de ses assiduités, et auquel elle veut d’autant plus résister qu’il est responsable du suicide de sa jeune sœur.

Violanta accepte donc de recevoir Alfonso dans sa chambre pour lui tendre un piège, mais, cédant à ses charmes, fait rempart de son corps quand le mari jaloux arrive pour tuer l’amant. Avant d’expirer, Violanta crie son amour… pour son époux, dont la virilité meurtrière l’a finalement conquise à nouveau.

On sait gré au Teatro Regio de Turin d’avoir fait fi des préjugés et d’avoir osé monter Violanta, servie, qui plus est, par des maîtres d’œuvre expérimentés : à eux deux, Pinchas Steinberg et Pier Luigi Pizzi totalisent plus de 160 ans. Hélas, l’expérience n’est pas nécessairement gage de réussite, et le spectacle, péchant plus d’une fois par sa lourdeur, laisse le sentiment d’une occasion manquée.

Décorateur dans l’âme avant d’être metteur en scène, Pier Luigi Pizzi a souvent évoqué Venise dans ses spectacles. Ici, il fait du palais de Simone Trovai un intérieur bourgeois luxueux, mais sans réelle élégance : lourdes tentures rouges, tapis rouge, canapé rouge, le tout fait penser à une maison close.

Les lumières assez banales d’Andrea Anfossi n’arrangent rien, pas plus que la grande baie ronde qui, percée dans le mur du fond, permet de deviner le Grand Canal, des gondoles poussives convoyant parfois quelques personnages. Mais le problème réside, avant tout, dans une direction d’acteurs rudimentaire, voire inexistante : les seconds rôles vont et viennent de façon erratique, mais c’est bien pire avec les premiers, livrés à eux-mêmes.

Si Annemarie Kremer donne à sa Violanta l’intensité tragique qu’elle mérite, Michael Kupfer-Radecky et, plus encore, Norman Reinhardt font si piètre figure, en Simone et Alfonso, qu’on peine à croire à l’intensité de leurs personnages. À leur décharge, des costumes qui n’arrangent rien, uniforme de marin pour le premier, curieux ensemble noir, tenant à la fois de Lohengrin et de Batman, pour le second.

On frise donc le kitsch, surtout dans le formidable duo final, où Alfonso et Violanta semblent chercher les traces de craie sur le sol pour se camper dos à dos, de trois quarts, pour chanter vers la salle.

C’est que l’orchestre a tendance à couvrir les voix masculines, aussi belles soient-elles. Les femmes tirent mieux leur épingle du jeu, qu’il s’agisse de la soprano néerlandaise Annemarie Kremer, rayonnante et vaillante dans l’exigeant rôle-titre, ou de la mezzo italienne Anna Maria Chiuri, excellente en Barbara, la vieille nourrice de Violanta.

On sait gré à Pinchas Steinberg de transmettre sa passion pour cette musique, en cultivant les iridescences et le legato. Mais, en même temps, on aimerait plus de contrastes et, surtout, cette ambiance vénéneuse qui confère leur substance aux opéras de Korngold.

NICOLAS BLANMONT

PHOTO © WERNER KMETITSCH

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