Comptes rendus La Bohème à Mascate avant Monte-Carlo
Comptes rendus

La Bohème à Mascate avant Monte-Carlo

09/10/2019

Royal Opera House, 5 octobre

Structure d’accueil pendant plusieurs années pour des spectacles créés ailleurs, le Royal Opera House de Mascate cherche désormais, sous la houlette de son directeur, Umberto Fanni, à avoir la primeur des coproductions auxquelles il s’associe. Ainsi de la Lakmé mise en scène par Davide Livermore, en mars dernier, et maintenant de cette Bohème, partagée avec l’Opéra de Monte-Carlo, qui l’accueillera en janvier 2020.

Disons-le d’emblée : il s’agit d’une des mises en scène les plus réussies de Jean-Louis Grinda à ce jour. Le directeur de l’institution monégasque ne révolutionne rien, mais sa direction d’acteurs est d’une telle finesse, et en même temps d’une telle simplicité, que nous nous sommes pris au jeu de cet opéra comme si nous le voyions pour la première fois, au point de verser une petite larme au moment des adieux de Mimi, puis de sa mort.

Dès le lever de rideau, la toile que Marcello est en train de peindre, dans l’atelier d’artiste qu’il partage avec ses camarades, définit le cadre temporel de l’intrigue. Il s’agit, en effet, de l’affiche d’un film intitulé Pharaons, avec Pierre Richard-Willm et Mireille Balin, d’après un roman de Pierre Mac Orlan, représentant la mer Rouge (« Questo Mar Rosso » !). Nous sommes donc au tournant des années 1930-1940, transposition que le livret de Giacosa et Illica supporte aisément.

Géographiquement, aucun doute, nous sommes bien à Paris, avec le fond de scène occupé par la projection des toits d’un immeuble haussmannien, remplacés, au II, par la vue de nuit d’un quartier où s’alignent théâtres et music-halls. La barrière d’Enfer est une vraie barrière, sous une neige poétiquement éclairée par Laurent Castaingt, et Mimi s’éteint logiquement dans le décor du I, signé Rudy Sabounghi.

Les costumes de David Belugou caractérisent les personnages et l’époque à la perfection, offrant à Jean-Louis Grinda un cadre propice à faire surgir l’émotion. Procédant par petites touches, en veillant au naturel de chaque geste, ce dernier construit la progression implacable du drame sans laisser la tension se relâcher un seul instant. Parmi ses plus grandes réussites : le traitement de Schaunard, souvent considéré comme un comparse, qui devient aussi important que Marcello dans la dramaturgie de l’ouvrage.

Une vraie énergie se dégage de la fosse, sans que l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, dans une forme optimale – comme, d’ailleurs, le Chœur de l’Opéra monégasque, préparé par Stefano Visconti –, ne couvre jamais les chanteurs. Avec ce qu’il faut de sensualité, de lyrisme et d’abandon, Giuseppe Finzi épouse à la fois les moindres inflexions du discours puccinien et le rythme de la mise en scène.

Dans un contexte moins favorable, la distribution ne soulèverait sans doute pas des transports d’enthousiasme. Mais l’équipe est homogène, et chacun y croit tellement que le spectateur finit par se laisser emporter.

Bon chanteur de troupe (il est aujourd’hui attaché au Staatsoper de Vienne), Gabriel Bermudez, Marcello d’une solidité à toute épreuve, manque ainsi de charisme vocal. Même chose pour les Colline et Schaunard de George Andguladze et Giovanni Romeo, celui-ci compensant par ses dons de comédien. Quant à Matteo Peirone, il s’inscrit dans la bonne tradition des Benoît et Alcindoro.

Plus contrôlé et, surtout, beaucoup plus expressif que dans Madama Butterfly à l’Opéra Bastille, quelques semaines plus tôt (voir plus loin), Giorgio Berrugi séduit et émeut en Rodolfo. Le timbre est agréable, le phrasé caressant, et l’aigu aisé (même si le contre-ut de « Che gelida manina ! » donne, ce soir, l’impression de partir en arrière).

Irina Lungu est une très fine musicienne, qui bouleverse dans « Donde lieta usci » et « Sono andati ? », sans aucun effet superflu. Sachant s’arrêter juste avant de basculer dans le mélo facile, elle cisèle le texte avec une remarquable variété dans les accents. Reste que la voix manque un peu d’ampleur au premier acte, un large vibrato venant affecter des aigus trop poussés, dans « Mi chiamano Mimi » et « O soave fanciulla ».

Mariam Battistelli, enfin, est pour nous une révélation. Cette jeune soprano, née en Éthiopie et de nationalité italienne, Premier prix et Prix du Public au Concours « Ottavio Ziino » de Rome, en 2017, campe une Musetta idéale de fraîcheur et de charme mutin, sans rien de perçant dans l’aigu, ni de caquetant dans ses tentatives de séduction de Marcello. L’actrice est également captivante, tant dans sa version « coquette » (au II) que « brave fille » (au IV).

Souhaitons à cette production une réussite identique à Monte-Carlo, avec un autre chef et une distribution en partie renouvelée.

RICHARD MARTET

PHOTO © ROHM/KHALID ALBUSAIDI

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