Comptes rendus La victoire des ouvrières Lejaby à Nancy
Comptes rendus

La victoire des ouvrières Lejaby à Nancy

09/02/2019
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Opéra National de Lorraine, 5 février

Giorgio Battistelli (né en 1953) est un familier de Nancy, où a eu lieu, en 2008, la création mondiale de Divorzio all’italiana, puis, en 2014, celle d’Il medico dei pazzi. Dans les deux cas, il était aussi l’auteur du livret, comme il l’est à nouveau pour 7 Minuti, commande de l’Opéra National de Lorraine et du Conseil Départemental de Meurthe-et-Moselle.

Le compositeur italien s’est, cette fois, inspiré d’une pièce éponyme de Stefano Massini, tirée d’un fait divers : la faillite annoncée de l’entreprise de lingerie Lejaby à Yssingeaux (Haute-Loire), et la victoire des ouvrières de l’usine qui, à force de ténacité, réussirent à renverser la vapeur et à relancer la production.

En effet, explique Giorgio Battistelli, « la forme opéra regagne toutes ses lettres de noblesse en prouvant son efficacité et son utilité quand il s’agit de dire le monde d’aujourd’hui », car « le rôle de l’artiste est de proposer un geste de résistance, de faire réfléchir sur la fin des droits sociaux, sur le fait de considérer l’être humain comme une marchandise et de dénoncer toutes les atteintes à la dignité que cela induit ».

Diable ! Le fait de composer aujourd’hui un opéra, quel qu’en soit le sujet, n’est-il pas déjà en soi un acte de résistance ? Le metteur en scène, Michel Didym, enfonce le clou : « Quand nous nous sommes lancés dans ce projet (…) nous avons décidé, avec le compositeur, que 7 Minuti serait sous-titré «un opéra syndical». » On craint le pire : allons-nous devoir subir un pensum réaliste-socialiste ?

Eh bien, non. Malgré ses préventions, Battistelli n’a pas renoncé à son art, et 7 Minuti ressemble à tout sauf à un tract syndical mis en musique. Le livret (en italien), d’abord, a quelque chose d’un huis clos : dix salariées d’une entreprise attendent que leur porte-parole annonce le sort que les nouveaux propriétaires réservent à l’usine. Blanche les informe alors qu’une seule condition est mise à la poursuite de l’activité : qu’elles renoncent à sept minutes par jour de leur temps de pause (d’où le titre de l’opéra). Concession apparemment minime, mais qui se va se révéler source de conflits entre les protagonistes.

On l’a compris, 7 Minuti réunit onze personnages féminins qui parlent de travail, d’angoisse, d’avenir, d’humanité, sans que jamais leur propos vire au prêche ou aux bons sentiments. La santé qui émane de ce vivifiant débat en musique, comme on parle de conversation en musique, est la condition de l’intérêt toujours renouvelé de l’ouvrage.

La musique accompagne avec brio cet exercice. Avec finesse et souplesse, sans jamais s’attarder, Giorgio Battistelli parvient à faire chanter ce qui paraît a priori inchantable et réussit à ménager des moments lyriques qui sont presque des airs, mais aussi, en jouant tour à tour du groupe et des individus, à concevoir des ensembles.

Le choix des onze cantatrices a été fait avec soin. Les tessitures sont savamment dosées, du soprano colorature au contralto, permettant ce qu’on désignera comme une chorégraphie vocale très serrée.

Chacune des chanteuses fait peu à peu émerger sa personnalité : il y a Lorraine, qui s’est déjà fait licencier une première fois, servie par la voix pulpeuse de Grazia Doronzio ; Rachel (Eleonora Vacchi), physiquement et vocalement pleine d’arrogance ; Sophie, dont les certitudes sont exprimées par les aigus faciles de Daniela Cappiello ; Zoélie, incarnée par la voix instable d’Arianna Vendittelli ; Mireille (Francesca Sorteni), qui se promène toujours avec une bouteille de bière à la main, etc.

Le rôle de Blanche est magnifié par la voix douce et maternelle de Milena Storti, qui peut à l’occasion se déchaîner, cependant que les accents rauques de Loriana Castellano servent au mieux les accès de révolte et de soumission de Mahtab, l’ouvrière venue d’Iran. Les interventions du Chœur de l’Opéra National de Lorraine (installé au milieu des spectateurs) sont peu nombreuses et moins indispensables, mais la pétulance et le naturel des solistes font qu’on se laisse prendre au jeu.

Dans la fosse, l’Orchestre Symphonique et Lyrique de Nancy est tout aussi volubile, et on se plaît à entendre une trame sonore ne multipliant pas les déflagrations percussives et sachant faire sonner, à certains moments choisis, le timbre de l’accordéon comme une tache de couleur. La direction de Francesco Lanzillotta est, à cet égard, exemplaire de dynamisme et de conviction.

Michel Didym a mis au point un spectacle réaliste, avec chaises en formica, tabliers à carreaux et accessoires divers (Sophie arrive en trottinette), ce qui, en l’occurrence, n’est pas hors sujet. Sa direction d’acteurs est tellement réglée, au fil des deux heures que dure le spectacle, elle sait tellement exprimer les conflits et les individualités, qu’on sort de la salle en se réjouissant que l’intelligence du théâtre et la ductilité de la musique soient à parts égales au service de cette étonnante réussite.

CHRISTIAN WASSELIN

PHOTO : © OPÉRA NATIONAL DE LORRAINE/C2IMAGES

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