Comptes rendus Le retour de Lear à Munich
Comptes rendus

Le retour de Lear à Munich

15/06/2021

Nationaltheater, 3 juin

Nikolaus Bachler souhaitait symboliquement conclure son mandat, à la tête du Bayerische Staatsoper, par trois ouvrages créés à Munich : Idomeneo (1781), Tristan und Isolde (1865), nouvelles productions prévues pour le Festival qui s’ouvre le 29 juin, et Lear (1978), le chef-d’œuvre d’Aribert Reimann (né en 1936), enfin de retour au Nationaltheater.

À l’époque, la création fut triomphale : Dietrich Fischer-Dieskau en tête d’affiche, dans une impressionnante production de Jean-Pierre Ponnelle et Pet Halmen. Une scénographie encore facile à remonter, comme ce fut le cas à Budapest, en 2016. A fortiori sur le lieu même de sa naissance, l’expérience aurait pu être stimulante. Mais Nikolaus Bachler souhaitait un regard complètement différent, et il a choisi le metteur en scène suisse Christoph Marthaler, ce qui, malheureusement, relève plutôt du goût du paradoxe que de la démarche raisonnée.

Marthaler aurait-il dû même accepter, tant l’ouvrage paraît étranger à ses propres conceptions ? Après une trentaine de productions différentes dans le monde, Lear reste un formidable condensé d’énergie brute, dont on doit ressentir l’impact directement au plexus. Or, rien de tel ne peut se produire ici, dans une esthétique distanciée jusqu’à l’absurde, à rebours de toutes les indications du livret écrit par Claus Henneberg, d’après la tragédie de Shakespeare.

Pour l’occasion, Anna Viebrock recycle un décor ayant déjà servi pour plusieurs productions antérieures du metteur en scène, réplique d’un étage du Musée d’histoire naturelle de Bâle (Naturhistorisches Museum Basel) : murs nus grisâtres, éclairage au néon, avec, pour seul élément saillant, trois vitrines sur le côté, pour chacune des trois filles de Lear. Le vieux roi est une sorte d’autiste, féru d’entomologie, globalement indifférent à ce qui se passe.

Autour de lui, les personnages restent dans leur bulle, approfondis dans leur caractérisation névrotique, mais tous délibérément caricaturaux. Pour retrouver la puissance du propos de Reimann, le mieux est encore de fermer les yeux et d’écouter.

Heureusement, la distribution est brillante. Dans le rôle-titre, Christian Gerhaher n’a pas grand-chose à envier à ses deux meilleurs prédécesseurs, Dietrich Fischer-Dieskau et Bo Skovhus, si ce n’est un peu plus d’émotion dans certaines répliques clés. Le timbre est superbe, la diction globalement bonne, et l’essentiel de l’envergure du personnage est là, même si la mise en scène n’aide pas.

En Cordelia, Hanna-Elisabeth Müller, sensible et juste, n’a pas encore les moyens dramatiques requis pour faire le poids face aux redoutables Goneril d’Angela Denoke (un peu usée dans l’aigu, mais vénéneuse à souhait) et, surtout, Regan d’Ausrine Stundyte, particulièrement incisive et méchante.

Matthias Klink est très percutant en Edmund, de même qu’Andrew Watts chante un bouleversant Edgar, poétique et égaré. Parfait Gloster de Georg Nigl, dans l’autre grand rôle de père de l’ouvrage.

Impossible de faire tenir tout l’orchestre en fosse, en ces temps de pandémie. Seuls cordes et bois sont présents, le son des cuivres, percussions et chœurs étant rediffusé depuis une salle attenante. En dépit du défi technique, le chef finlandais Jukka-Pekka Saraste parvient à restituer la densité de l’ouvrage sans déficit majeur, devant une salle fraîchement rouverte, où sept cents spectateurs ont été autorisés à prendre place.

Consignes sanitaires au demeurant strictes, dont le port de masques hermétiques, sous le contrôle intransigeant du personnel d’accueil. Un sérieux en total contraste avec l’insouciance déjà retrouvée de la dolce vita munichoise, à l’extérieur !

LAURENT BARTHEL

PHOTO © WILFRIED HÖSL

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